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Du
nouveau sur les origines de l’islam
Quand la
conquête est un outil pour le Salut de la Terre
Entretien avec Edouard-Marie Gallez réalisé par Guillaume de Tanoüarn
et Romain Koller
Objections - n°2 - janvier
2006 |
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Il
est impossible d’évoquer tout ce que l’on trouve dans votre livre. Il
révèle la figure historique de Mahomet, il montre qu’il faut le
considérer surtout comme celui qui a réussi à unir plusieurs tribus arabes
autour du projet judéo-nazaréen de la «conquête de la terre». Pouvez-vous
préciser davantage encore quelle était la croyance de ces judéo-nazaréens?
Les
judéo-nazaréens reconnaissaient Jésus non pas comme le Fils de Dieu venu
visiter son peuple – pour reprendre une manière de parler très primitive –,
mais seulement comme le Messie suscité par Dieu. Ce n’est pas de sa faute si
ce dernier n’a pu établir le Royaume de Dieu : les Grands-Prêtres se sont
opposés à lui et vont même vouloir le tuer. Mais Dieu ne pouvait permettre
que son Messie fût crucifié, Il l’enlève donc à temps au Ciel, et c’est
une apparence – un autre homme ou une illusion – qui est clouée sur la
croix à sa place. Divers textes apocryphes disent cela bien avant le Coran (IV,
157), et certains imaginent même que c’est Simon de Cyrène, celui qui avait
aidé Jésus à porter sa croix, qui se retrouve dessus par erreur. L’important,
c’est que Jésus, lui, soit gardé “en réserve” au Ciel. Mais il ne peut
redescendre que lorsque le Pays sera débarrassé de la présence étrangère et
que le Temple sera rebâti par les vrais croyants. Pour que le salut du monde
advienne, la recette est donc évidente : il suffira de prendre Jérusalem –
qui doit devenir la capitale du monde – et de reconstruire le Temple. Le «
Messie-Jésus » – une expression gardée dans le Coran que nous avons –
imposera alors le Royaume de Dieu sur toute la terre. Là, on est loin des
messianismes antérieurs à notre ère, qui étaient simplement nationalistes et
religieux.
Dans
le premier volume de votre ouvrage, vous écrivez comme une histoire de ce
messianisme politique, qui change de nature au début de l’Ère chrétienne…
L’insurrection
de 66 qui conduisit à la ruine du Temple en 70 n’était plus simplement
nationaliste, quoique son idéologie soit mal connue : Flavius Josèphe est la
seule source qui aurait pu nous l’expliciter mais il glisse sur le sujet (il y
a été impliqué lui-même). Cependant, on peut penser à un mélange de
messianisme nationaliste et d’eschatologie « mondialiste » où le message
judéo-chrétien, déformé, n’est pas étranger. Les sources sont plus
claires à propos de la seconde insurrection judéenne, qui s’étendit de 132
à 135 ; celle-là est explicitement messianiste, et inspirée par un certain
Aqiba qui est en fait un ex-judéo-chrétien devenu « Rabbi », et qui est
connu pour son anti-christianisme. On voit bien à quel courant de pensée il
puise ses délires destructeurs. On en a parlé précédemment, c’est à la
suite de la destruction du Temple de 70 que l’idéologie judéo-nazaréenne se
structura en vision cohérente du Monde et de l’Histoire, construite sous l’angle
de l’affrontement des « bons » et des «méchants», les premiers devant
être les instruments de la libération de la Terre. Le recoupement des données
indique que c’est en Syrie, chez les judéo-chrétiens qui refusèrent de
rentrer en Judée après 70 et réinterprétèrent leur foi, que cette
idéologie de salut – la première de l’Histoire – s’est explicitée.
Vous
ne vous contentez pas de collationner les événements, vous proposez une
histoire des doctrines, ou plutôt un schéma explicatif, qui s’applique de
manière pertinente jusqu’à nos jours ou presque?
Je
crois pouvoir dire en effet que cette manière de réinterpréter l’attente de
la manifestation glorieuse du Messie est à l’origine de tous les messianismes
« modernes » même s’ils l’ont oublié depuis longtemps ; car il s’agit
d’une explication de l’Histoire où l’initiative n’appartient plus
vraiment à Dieu mais à l’homme. La recette de l’accomplissement de l’Histoire
est fournie : « La Terre appartient aux pieux ». Ceux qui la possèdent sont
donc les sauveurs du monde, et Dieu n’a plus grand-chose à faire dans cette
Histoire où la victoire finale des « bons » est pour ainsi dire programmée
et inscrite : les explications déterministes modernes trouvent là leur source.
Ce que d’aucuns appellent le fatalisme musulman est un autre aspect de ce
déterminisme, mektoub. Mais attention : la « foi » – religieuse ou non –
en ce déterminisme n’entraîne pas nécessairement la passivité ; elle peut
entraîner aussi bien l’activisme, au sens où l’on se croit investi d’une
mission de Dieu qui place au-dessus des autres hommes ; le Coran expose cette
idée (par exemple III, 110) mais, « Dieu » mis à part, elle a également
été celle des militants marxistes. Pour en revenir à l’attente
judéonazaréenne du Messie-Jésus, je ne vous apprendrai rien en disant qu’il
n’est pas redescendu du Ciel en 638. En 639 non plus. En 640, l’espérance
de le voir redescendre du Ciel apparut clairement être une chimère. C’est la
crise.
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