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Émotions
impératives
Laurent Lineuil
Objections - n°9 - février 2007 |
Le
15 février a commencé à l’Assemblée nationale la discussion du projet de
loi sur le droit au logement opposable, dont Christine Boutin, figure
emblématique de ce christianisme compassionnel qui en est venu à confondre la
charité avec la soumission à tous les chantages émotionnels de l’heure,
sera le rapporteur (on serait tenté de dire "la rapporteuse"). Alors
que mourait l’abbé Pierre, le 22 janvier, deux sénateurs socialistes se
félicitaient aussitôt de ce que ce décès faciliterait sans aucun doute l’adoption
de la loi. Formidable aveu de ce que la loi n’obéit plus, aujourd’hui, aux
nécessités politiques, mais à la tyrannie de la compassion. Ne parlons pas de
démocratie d’opinion, parce que ce dernier mot suppose un raisonnement, un
mouvement qui a pesé le pour et le contre : c’est bien plutôt sous le
régime de la dictature de la sensiblerie que nous vivons, des émotions
impératives qui ont aussitôt force de loi. Le cœur a ses raisons qui ne
veulent pas connaître la raison – même si, derrière cet absolutisme du cœur
s’agitent des lobbies qui ont, eux, leurs raisons, aussi précises qu’étrangères
au bien commun.
En
son temps, la croisade de l’abbé Pierre pour les sans-logis (on ne parlait
pas encore exclusivement par sigles en cet hiver 1954) fut une juste cause,
certainement nécessaire et irriguée par un authentique esprit de charité.
Elle n’en révélait pas moins une carence du pouvoir politique, qui attendit
le spectaculaire appel de l’abbé pour se saisir du problème. Beaucoup plus
tard, un abbé vieillissant devait mettre sa soutane à la remorque d’agitateurs
beaucoup plus riches en
arrière-pensées politiques qu’en charité évangélique, les Attac, Dal et
autres organisations crypto-trotskistes qui font de la lutte contre les
insuffisances du logement le paravent transparent de leur propagande
immigrationniste. Ces groupuscules et tous ceux qui fonctionnent sur le même
modèle ont aujourd’hui la part belle : en face d’eux, des gouvernements
sans vision politique, paralysés par la pusillanimité et l’indécision, les
yeux rivés sur la ligne bleue des sondages, sont une proie facile pour les
agitateurs de tout poil, et font naître comme à plaisir les vocations d’agents
d’influence.
Le
dernier en date, Augustin Legrand, leader des Don Quichotte qui ont monopolisé
l’actualité quelques semaines autour des SDF du canal Saint-Martin, est
probablement bien intentionné. Pour l’occasion, ce bon bougre s’était
fabriqué un look vintage Abbé-Pierre-54, mais sa version de la charité
ressemble à ces vertus chrétiennes devenues folles dont parlait Chesterton.
Sans culture politique, et victime de cette perversion contemporaine qui ne
considère l’action humanitaire que comme un moyen de pression sur les
gouvernements, il s’est laissé manipuler par les partisans du droit au
logement opposable qui, sous couvert de continuer le combat de l’abbé Pierre,
aura pour effet le plus tangible de créer un nouvel appel d’air pour l’immigration
sauvage.
Qu’importe
que cette loi soit irréaliste, impraticable, démagogique, en un mot
désastreuse et pour tout dire boutinienne : il aura suffi de quelques dizaines
de tentes alignées sur les bords de Seine pendant quelques jours pour que cette
mesure que tout le monde sait idiote devienne absolument irréfutable.
Mêmes
les députés de la majorité qui, étant pour la plupart également élus
locaux, savent bien qu’elle va rendre leurs mandats ingérables, n’envisagent
pas une seule seconde de ne pas la voter. Hier, c’est le film Indigènes qui
donnait au président de la République l’idée subite de régler un problème
– le gel des pensions des anciens combattants d’Afrique du nord – qui ne
traînait jamais que depuis quarante ans. Demain,
ce sera quelque nouveau cas dramatique et soigneusement mis en scène, qui nous
imposera sans discussion possible l’euthanasie, pompeusement rebaptisée
"droit à mourir dans la dignité", le clonage thérapeutique ou le
"droit" à l’adoption pour les homosexuels. La tyrannie du cœur a
de beaux jours devant elle. Trémolos larmoyants dans la voix, mais sourire
cynique en coin, elle nous mène sereinement, sur une route pavée de bonnes
intentions, au désastre inéluctable qui attend les peuples qui préfèrent les
mirages flatteurs aux réalités qui exigent du courage.
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