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Un
frisson d'audace
par Laurent Lineuil
Objections - n°8 - décembre 2006 |
C’est
un incendie qui a commencé, comme souvent, par un feu de brindilles. Au
départ, un simple texte d’un laïc, Pierre-Olivier Arduin, responsable de la
commission Bioéthique et vie humaine du diocèse de Fréjus-Toulon, mis en
ligne début novembre sur le site internet dudit diocèse. Selon M. Arduin, «
il n’est plus possible de participer au Téléthon », une partie des dons
servant à financer des recherches qui induisent la destruction d’embryons,
alors que l’Église défend le droit à la vie de l’enfant dès sa
conception, et donc également pendant le stade embryonnaire. Devant
le scandale provoqué par ce texte qui osait s’en prendre à une institution
médiatique, emblématique de cette solidarité cathodique émotionnelle qui
tient lieu aujourd’hui de charité, Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon,
manifestait son soutien au texte de Pierre-Olivier Arduin. Au fil des semaines,
il était rejoint par une douzaine d’évêques, certains (Mgr Vingt-Trois, Mgr
Di Falco) se contentant d’appeler les organisateurs du Téléthon à permettre
aux donateurs de s’assurer que leurs dons n’aillent pas à la recherche sur
les cellules souches embryonnaires, d’autres appelant à mots plus ou moins
couverts au boycott (ainsi Mgr de Germigny : « En conscience, je dois dire non
au Téléthon, tel qu’il se pratique aujourd’hui »), certains, comme Mgr
Patenôtre, appelant à réorienter les dons vers la fondation Jérôme-Lejeune.
Quant à Mgr Barbarin, à l’argument des organisateurs du Téléthon et de
Jacques Chirac lui-même qui soutenaient que les recherches financées par le
Téléthon se faisaient dans le cadre de la loi, il rappelait fortement et
justement que « ça n’est pas parce que c’est légal que c’est moral ». Mgr
Rey, enfin, dénonçait cette tendance à transformer la générosité publique
en une sorte « d’impôt moral (…) culpabilisateur ». Si tous les évêques
n’ont pas pris part à cette offensive, la seule fausse note sera venue de Mgr
Dubost qui, dans une interview donnée à la Croix, semblait baisser les
bras et entériner l’inutilité de tout combat à contre-courant : « Il nous
faut accepter que l'éthique chrétienne ne soit plus, à elle seule, celle qui
soutient et anime l'éthique de la société. »
N’en
déplaise à Mgr Dubost, pendant un mois, le débat aura pourtant tourné, de
manière extrêmement visible, sur les positions de l’Église. S’il n’a
pas empêché (ça n’était d’ailleurs pas le propos, car il s’agissait
surtout de lancer un débat de fond) les promesses de dons d’augmenter lors de
cette édition 2006, un sondage Ifop révélait
que 54 % des Français rejoignaient l’Église dans son souhait de voir le
Téléthon garantir aux donateurs qui le souhaitent que leurs dons ne seront pas
utilisés pour la recherche embryonnaire. Dans le Monde du 6 décembre,
une analyse de Jean-Yves Nau reconnaissait la légitimité des questions posées
par l’Église. Jusqu’à Jean-Pierre Denis, désormais bien connu des
lecteurs d’Objections, qui, dans son éditorial de la Vie,
venait au secours de nos évêques.
Le
moins qu’on puisse dire est que ceux-ci, de déclarations militantes sur
"l’accueil de l’autre" en prudentes contorsions pour éviter de
fâcher quiconque sur les questions de mœurs, ne nous avaient guère habitués
à occuper ainsi le débat public, et à prendre à rebrousse-poil le moralisme
doucereux de l’époque. Quelques
signes avant-coureurs, ces derniers mois, avaient témoigné d’un
frissonnement d’audace – on songe à la déclaration de Mgr Cattenoz sur l’identité
chrétienne des écoles catholiques sous contrat, ou au courageux plaidoyer de
Mgr Ricard pour la réconciliation avec les traditionalistes -, mais cette fois,
c’est bien d’une sortie collective de la tranchée qu’il s’agit. Dans le
deuxième éditorial d’Objections, intitulé Parole d’évêque,
nous déplorions la timidité de la parole épiscopale en France. Est-ce l’exemple
de Benoît XVI, qui a montré sa capacité, notamment au moment de Ratisbonne,
à résister aux « hurlements des loups » ? Est-ce l’effet de ses constants
appels aux chrétiens à davantage intervenir dans le débat public ? Est-ce la
mauvaise conscience, récemment manifestée par Mgr Vingt-Trois, d’être
restés silencieux sur trop de sujets cruciaux ? Nos évêques semblent en tout
cas désireux, trop timidement encore peut-être, de rompre avec cette
timidité. A nous, par notre soutien, de les y encourager.
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