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Abdelwahab
Meddeb et Libération au secours du pape
Abbé
Christophe Héry
Objections - n°7 - novembre 2006
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«
L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte »
: tel est le titre, dans Libération (24-09-2006), d’un entretien avec
l’universitaire franco tunisien Abdelwahab Meddeb, commentant le discours du
pape à Ratisbonne et la violence qui s’en est suivie : « Je ne comprends pas
pourquoi ils [les propos du pape] ont suscité une telle réaction et, en même
temps, on a l’impression que l’on est désormais face à un schème
dramaturgique bien établi qui correspond parfaitement à ce que recherchent les
médias, avec le spectaculaire et de l’histoire dans le spectaculaire […].
Ce qui s’est passé dans ce cas précis est très grave. »
Au
sujet de la raison et de la liberté spirituelle de l’acte de foi, défendues
par le discours du pape, le professeur Meddeb souligne par contraste la
spécificité de l’Évangile. Il l’interprète en terme de « rupture »
avec l’Ancien Testament : « Le message évangélique a constitué
véritablement une rupture par rapport aux écritures antérieures en
privilégiant l’amour sur la loi. L’aspect persuasif l’emportait sur l’aspect
coercitif. C’était une révolution. »
En
revanche, pour Meddeb, « la question de la violence de l’islam est une vraie
question » : le « texte lui-même » du Coran en porte le « germe ». « Les
musulmans doivent admettre qu’elle est un fait, dans le texte comme dans l’histoire
telle qu’ils la représentent eux-mêmes. » Contrairement à Jésus, « nous
avons affaire à un Prophète qui a été violent, qui a tué et qui a appelé
à tuer. La guerre avec les Mecquois
fut une guerre de conversion. Il y eut aussi la guerre avec les juifs et le
massacre des juifs à Médine, décidé par le Prophète. Il y avait un jeu d’alliances,
une opération politique qui se continue par le militaire. »
motivation
politique des guerres de religion
Indirectement,
Abdelwahab Meddeb qui se présente volontiers en Voltaire musulman, soulève la
question du théocratisme, de la fusion entre loi politique et loi religieuse
réunies dans la Thora comme dans la Charia. Serait-ce cette fusion des pouvoirs
spirituel et temporel, réunis en une seule main, qui favorise la violence, la
sacralise ou la justifie ? Sur ce point, la singularité de l’Évangile se
condense dans le « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est
à Dieu », principe fondateur, dans la tradition catholique, de la distinction
des finalités civiles et religieuses et des pouvoirs correspondants. Les
sociétés chrétiennes se sont constituées sur ce principe qui ne signifie pas
concurrence, ni séparation, mais alliance et distinction. Avec le recul de l’histoire,
on observe que les violences, les révolutions et les guerres dites « de
religion » ont éclaté pour des motifs « politiques », chaque fois que l’un
de ces pouvoirs – spirituel ou temporel – a convoité l’autre ou voulu le
confisquer – fût-ce au nom de la raison alors déifiée.
Pour
en venir au texte du Coran, Meddeb précise sa pensée : « il est ambivalent.
Il y a le verset 256 de la 2e sourate qui dit “point de contrainte en religion”.
Mais
aussi les versets 5 et surtout 29 de la sourate 9 : le “verset de l’épée”,
où il est commandé de combattre tous ceux qui ne croient pas à la “religion
vraie”. » Selon lui, les versets de la 2e sourate correspondent à l’époque
paisible où se constitua le premier Coran duquel il se recommande ; les autres
versets ont été ajoutés après les guerres de conquête et n’appartiennent
pas nécessairement à la pensée de Mahomet.
Quoi
qu’il en soit, Meddeb cerne un point de théologie, non repris par tous les
musulmans, loin de là, et qui remonte aux controverses au temps de Nicolas de
Cues. Il marque la différence comparative entre l’annonce de l’archange
Gabriel à Marie, en qui Dieu s’est fait homme, avec l’annonce du même
archange à Mahomet, par qui Dieu s’est fait texte. Tandis que les Chrétiens
croient au Dieu fait homme, les musulmans croient au Dieu fait Livre. Dieu tout
entier serait présent dans chaque verset du Coran. De là dérive le
fondamentaliste quasi constitutif de l’islam, qui interdit aux croyants toute
interprétation d’un verset par un autre.
De
ce point de vue, les catholiques, quant à eux, ne peuvent s’identifier à une
« religion du Livre », à moins d’adopter la conception que les musulmans se
font d’eux.
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