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La voie romaine
Editorial, par Laurent Lineuil
Objections - n°6 - juin 2006

À Rome, on les surnomme les “teocons”. Pas par une de ces railleries antichrétiennes qui font les délices des élites de ce côté-ci des Alpes, mais en référence à ces “néocons” qui se sont efforcés, avec plus ou moins de bonheur, de renouveler la pensée conservatrice américaine. Conservateurs, ces intellectuels italiens le sont également, mais avec une nuance de taille, c’est qu’ils intègrent à leur pensée le poids de l’héritage chrétien, que leur philosophie politique ne se veut pas détachée de la théologie catholique. L’extraordinaire est qu’ils ne se définissent pas comme croyants, à l’instar des deux figures de proue de ce mouvement informel, le fondateur du quotidien Il Foglio, Giulianio Ferrara, ancien marxiste devenu le principal soutien de la droite berlusconienne dans la classe intellectuelle transalpine, et Marcello Pera, philosophe, jusqu’à il y a peu président du Sénat italien sous étiquette Forza Italia.

Leur credo ? La civilisation européenne est aujourd’hui une coquille vide, sans foi en elle-même ni contenu, brouillée avec son identité (ethos), ne sachant pas davantage ce qu’elle veut que ce qu’elle est. « Si un pays, ou un continent, ne sent pas son ethos, il n’a pas de telos, c’est-à-dire de mission à accomplir », dit Marcello Pera. Ce contenu, seule une réconciliation de l’Europe avec son identité chrétienne peut le ressusciter. « Nous descendons de trois collines, dit encore Pera, le Sinaï, le Golgotha et l’Acropole, et nous avons habité trois capitales, Jérusalem, Athènes et Rome. » Ces lieux où se sont formés nos traditions et notre être, nous devons les réinvestir pour nous retrouver nous-mêmes, et si nous voulons que les principes éternels dont nous sommes les héritiers continuent à modeler l’histoire des hommes.

On ne s’étonnera donc pas si, fondé par Pera, le Mouvement pour l’Occident cite explicitement le laïcisme parmi les erreurs à combattre. Ni si les “teocons” se rallient derrière l’étendard de Benoît XVI, épousant son combat contre la dictature du relativisme. Benoît XVI dont l’accession au pontificat a fait pour ces athées figure de divine surprise. Sans avoir la foi, Marcelo Pera est ainsi un proche du pape avec qui il a signé un livre sur l’identité de l’Europe, Sans Racines.

Phénomène purement italien, dira-t-on. Il est vrai que l’imprégnation catholique est plus forte en Italie que partout ailleurs, que même la gauche y professe un respect au moins de façade pour une Église encore très écoutée. Le cas de la France, qui vit sous un régime qui s’est bâti en grande partie sur le laïcisme, où les tourments révolutionnaires ont figé durablement la question religieuse en champ de bataille idéologique, et où un héritier décérébré de l’anticléricalisme voltairien, Michel Onfray, triomphe en tête de gondole, est bien sûr très différent. Mais, même ici, les choses ne sont-elles pas en train de changer ? Du très progressiste René Rémond qui s’inquiète des progrès de la christianophobie à Maurice G. Dantec qui se fait le chantre de « la présence ineffable de la Parole », en passant par Max Gallo, Régis Debray, le regretté Philippe Muray ou le regrettable Denis Tillinac, de plus en plus nombreux sont les intellectuels qui n’hésitent pas à placer le christianisme au centre de leurs réflexions.

Certes, on pourra reprocher à ces “teocons”, et sans doute à Benoît XVI lui-même, dans leur souci de montrer que ce monde n’aurait pu se bâtir sans ce terreau chrétien qu’aujourd’hui il répudie, de confondre trop rapidement l’héritage chrétien avec la démocratie libérale et le droit-de-l’hommisme, oubliant que ceux-ci ne sont que ces idées chrétiennes devenues folles dont parlait Chesterton. Reste que ce retour vers l’identité chrétienne est un pas d’importance.

Ce qu’on a appelé, sans doute abusivement (dans la mesure où elle était bien partielle, et doctrinalement bancale), « la restauration wojtylienne », a prouvé que l’Église était encore capable de mobiliser les foules et de soulever les ferveurs. La reconquête ratzingerienne prouve, elle, qu’elle peut, derrière ces foules et surtout derrière le Christ, rallier les intelligences. Si elle parvient (mais le veut-elle ?) à purger ces intelligences de leurs scories modernistes, alors tous les espoirs seront permis le long de cette voie romaine qui est, qu’on le veuille ou non, la seule route qui nous reste à emprunter.

 

 

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