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La religion des Lumières
Abbé G. de Tanoüarn
Objections - n°5 - avril 2006

Peu d’époques furent moins religieuses que le Siècle des Lumières, mais, 250 ans après, c’est encore le Siècle des Lumières qui donne le la en matière religieuse…

Ce qui frappe quiconque s’approche de l’immense littérature antireligieuse qui fleurit dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est son dogmatisme. Les dogmes religieux sont perdus pour un d’Holbach, mais les dogmes de la « Raison » s’imposent avec d’autant plus de force, que la foi n’est plus là pour fixer des limites aux requêtes de l’esprit humain. La religion (en particulier la religion catholique) c’est le fanatisme. La foi relève forcément du préjugé. La Religion renvoie à des zones obscures de l’histoire et de la psychologie humaine. Un Voltaire a cultivé cette assurance à l’enseigne d’un slogan : « Écrasons l’Infâme ! »

Je voudrais proposer au lecteur, pour qu’il se rende compte du ton de la critique enluminée un extrait peu connu de la préface au Système de la nature du Baron d’Holbach:

« Tâchons donc d’écarter les nuages qui empêchent l’homme de marcher d’un pas sûr dans le sentier de la vie ; inspirons-lui du courage et du respect pour sa raison. Qu’il apprenne à connaître son essence et ses droits légitimes ; qu’il consulte l’expérience et non une imagination égarée par l’autorité ; qu’il renonce aux préjugés de son enfance ; qu’il fonde sa morale sur sa nature, sur ses besoins, sur les avantages réels que la société lui procure ; qu’il ose s’aimer lui-même ; qu’il travaille à son propre bonheur en faisant celui des autres. En un mot, qu’il soit raisonnable et vertueux, pour être heureux ici-bas et qu’il ne s’occupe plus de rêveries inutiles ou dangereuses. S’il lui faut des chimères, qu’il permette au moins à d’autres de se peindre les leurs différemment des siennes ; qu’il se persuade enfin qu’il est très important aux habitants de ce monde d’être justes, bienfaisants, pacifiques, et que rien n’est plus indifférent que leur façon de penser sur des objets inaccessibles à la raison ».

Le baron d’Holbach n’hésite pas à se déclarer athée. Comme Diderot. Comme Helvetius. Et il le fait sans l’ombre d’une hésitation, en vouant aux ténèbres tout ce qui n’est pas sa position : « L’auteur n’écrit pas pour les hommes endurcis à la voix de la raison, qui ne jugent que d’après leur vile intérêt ou leurs funestes préjugés. Ses cendres froides ne craindront ni leurs viles clameurs ni leur ressentiment, si terrible pour ceux qui osent de leur vivant annoncer la vérité ».

« Annonçant la vérité de l’athéisme », d’Holbach le répète : la foi religieuse n’est qu’un préjugé. Ce ton de certitude satisfaite, c’est celui qui a fait le succès des Lumières. La raison ? Elle est avec nous, pensent “les philosophes”. La liberté aussi. Et le bonheur. Et finalement l’humanité elle-même. Hors les positions “philosophiques”, il n’y a qu’une sous-humanité qui se débat dans les ténèbres de l’erreur.

Que vise d’Holbach lorsqu’il s’attaque à l’"intérêt" ? Tous ses amis philosophes, qui, à l’image de Voltaire se prétendent “théistes”, pour mieux exhorter l’humanité au travail, au nom de la Religion. N’est-ce pas dans le but de donner de la religion à ses paysans que Voltaire fit restaurer l’église du village de Ferney, où il s’était retiré ? La religion est utile parce qu’elle enseigne le travail et l’honnêteté, pensent la plupart des philosophes des Lumières.

La société a besoin de l’enseignement religieux pour qu’un véritable progrès matériel puisse s’y établir. Il est facile de se reconnaître une vague croyance qui permet d’exiger d’autrui une pratique religieuse fervente… La religion civile que propose Rousseau dans le dernier chapitre du Contrat social, se rapproche fortement de cet idéal religieux, technocratique avant la lettre.

Bilan du texte cité : pour d’Holbach, comme pour beaucoup d’intellectuels aujourd’hui, on n’est religieux que par ignorance ou par intérêt. Il a fallu le 11 septembre 2001 pour que les chercheurs se réveillent de leur sommeil dogmatique, en renonçant au mépris de commande, qui les identifie toutes dans la même “chimère”. Elle a la vie dure, la phraséologie des Lumières, qui assimile la religion à un ensemble de préjugés.

Pour un homme des Lumières, le souci religieux ne vaut pas une heure de peine. Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau va jusqu’à dire : « L’homme qui médite est un animal dépravé ». C'est dans ce contexte culturel Bernanos a pu dire très sérieusement : « On ne comprend rien à la société moderne si l’on oublie qu’elle s’est prononcée a priori contre toutes formes de vie intérieure. Rentrer en soi ? Cela ne sert à rien. Comme le dit Jean Jacques à propos de Julie : « Elle n’étudie plus, elle agit ». La raison qu’invoque l’homme des Lumières n’est plus celle par laquelle l’homme cherchait à percer le secret de l’univers. Elle n’a rien à voir non plus avec la Loi universelle de Malebranche (mort en 1715 pourtant). La raison qui guide ces hommes-là, c’est celle qui accompagne l’expérience et qui travaille à l’élaboration de techniques nouvelles.

Quant à la religion, elle doit autant que possible rester « dans les limites de cette simple raison », en rejetant toutes les formes de révélation divine pour rester une expression de la conscience religieuse, « cet instinct divin » au cœur de l’homme.

L’homme qui, en matière de religion, s’en tient à la conscience, ne prétend pas à la vérité absolue en matière religieuse. Il professe quelques vérités partielles (ou quelques erreurs inoffensives) qui devraient être toutes plus ou moins compatibles les unes avec les autres, comme le remarquait d’Holbach. Kant, qui a opéré une synthèse de l’esprit des Lumières, note bien que, « dans les limites de la simple raison », l’homme ne peut admettre ni grâce surnaturelle ni mystères dépassant les forces de la raison.

Cela dure depuis Spinoza (à la fin du XVIIe siècle) et même depuis l’Italien Fausto Socin (à la fin du XVIe siècle), ce qui est attaqué par la modernité, c’est moins la religion en soi, que la religion révélée. Ce que l’on n’admet pas, c’est la possibilité d’une révélation surnaturelle. L’existence même du christianisme est ainsi mise en jeu.


Les foudres de Pie IX

Si la raison enluminée prend les commandes en matières religieuse, que reste-t-il ? A peu près rien. On comprend pourquoi le pape Pie IX, dans le Syllabus (1864) a très clairement condamné la proposition suivante, significative de l’esprit des Lumières : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de professer la religion qu’il aura réputée vraie d’après les lumières de sa raison ». Si chaque homme se contente de “chercher la vérité”, armé des seules études de sa raison, il pourra se faire une vérité à la carte, mais il ne parviendra jamais à la vérité catholique. On comprend la raison profonde de la condamnation par Grégoire XVI de ce qu’il nomme la liberté de la conscience : la vérité divine, révélée aux hommes, n’est pas accessible à la conscience humaine mais à la foi, don de Dieu.

 

 

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