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Messe
traditionnelle, après la libéralisation… - Daniel
Hamiche - Objections
- n°5 - avril 2006
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La
Tradition catholique est souvent suspectée et marginalisée. Le
rapport des forces en présence est faussé par cette persécution sourde et
systématique, qui a aujourd’hui 40 ans. Mais que se passera-t-il lorsqu’on
aura libéralisé la messe ?
Les piètres réflexions de Mgr Piero Marini,
archevêque et maître des cérémonies de Jean- Paul II et de Benoît XVI,
confiées en mars dernier à CWS [1],
concernant la concession parcimonieusement accordée à quelques « fidèles
âgés » de pouvoir assister à des messes célébrées selon le Missel dit de
saint Pie V sont tombées à plat. Au même moment, en effet, se tenait un
consistoire où, sous la présidence attentive du pape, 150 cardinaux
débattaient, précisément, de la « réforme de la réforme » liturgique et
de la messe traditionnelle ! Le simple rapprochement de ces deux faits, dans
leur disproportion, confirme l’importance désormais revêtue aux yeux de tous
par la question liturgique.
La bataille pour la défense de la messe
traditionnelle n’a évidemment rien à voir avec une succession d’escarmouches
qu’auraient livrées de maigres bandes de desesperados et de nostalgiques. Il
y en eut, peut-être, mais ils sont morts pour la plupart sans que disparaisse
avec eux l’intérêt pour la liturgie tridentine. C’est que son attrait est
puissant sur les plus jeunes générations, celles qui sont nées bien après sa
prohibition de facto : il semble difficile de les qualifier de « fidèles
âgés » ou de nostalgiques…
La revendication d’une application plus
honnête du motu proprio Ecclesia Dei, dépasse, aujourd’hui, le cercle
réduit des fidèles de l’ancienne liturgie.
Karl Keating, qui anime l’excellent site
américain d’apologétique Catholic Answers [2],
n’est pas un catholique traditionaliste ; il est même, assez fréquemment, la
cible d’une frange excessivement radicale de ce mouvement aux États- Unis.
Cela ne l’empêche absolument pas de revendiquer, à sa manière, le droit de
« citoyenneté » pour un rite qu’il ne pratique pas.
Pas
de demande pour la messe traditionnelle ?
Dans un éditorial publié sur son site, le 20
septembre dernier, Keating, après avoir critiqué les autorisations réticentes
ou malcommodes de la messe traditionnelle dans 120 diocèses américains (sur
176), dénonce, avec vigueur et humour, la défense de bien des évêques,
retranchés derrière le prétexte « qu’il n’y a pas de “demande” pour
elle ». Les fidèles, écrit-il, « pourraient bien finir par préférer la
solennité de l’ancienne messe si seulement ils pouvaient avoir l’occasion
de l’essayer. Mais tout ce qu’ils savent, s’ils ont moins de 50 ans, c’est
que la messe est dite en latin, alors qu’ils n’ont aucun souvenir d’elle.
Leur connaissance est trop abstraite pour leur faire se bouger les fesses (sic)
et traverser en voiture toute la ville afin d’assister à la seule messe
latine proposée aux gens de la région. Ils n’ont jamais assisté à une
telle messe et sont donc incapables de savoir s’ils l’aimeraient et
pourraient en tirer du profit. Évidemment, pas question d’attendre d’eux
une “demande”. Parler d’un manque de “demande” de la messe ancienne
demeurera stupide tant qu’un test honnête n’aura pas été accordé ».
Il poursuit en s’appuyant sur une comparaison
très compréhensible pour des Américains : « Il y a trente ans, si vous aviez
demandé autour de vous, vous n’auriez trouvé aucun Américain intéressé
par les cappuccinos ou les expressos dont on est aujourd’hui si friand dans
les cafés. Dès qu’ils ont eu la possibilité de goûter à ces offres
exotiques venant d’Europe, bien des Américains se sont mis à en raffoler. Il
en irait sans doute de même avec l’ancienne messe, mais nous n’en saurons
rien avant que les catholiques américains aient la possibilité de comparer la
messe tridentine à celle qui est célébrée dans leurs paroisses. Je subodore
qu’il y aura beaucoup plus de “demandes” que ce à quoi s’attendent les
bureaucrates de l’Église. De nos jours, environ 20 millions d’Américains
[sur 68 millions de baptisés catholiques] assistent à la messe chaque
dimanche, mais pas plus d’1 % d’entre eux assiste à l’ancienne messe.
Quel pourrait être ce pourcentage si l’ancienne messe était vraiment
disponible partout ? Mon hypothèse est qu’il pourrait bien être à deux
chiffres ».
Parler de la messe en terme d’ “offre” ou
de “marché”, manifeste cette décontraction tout américaine dont nous
sommes à peu près dépourvus en France. Keating connaît bien son épiscopat
et davantage encore la « bureaucratie » qui s’est arrogée, trop souvent et
en trop de diocèses, les pouvoirs réservés à l’évêque. Supposons,
écrit-il, que le Pape « donnera aux prêtres de rite latin la permission
universelle de célébrer l’ancienne messe », que se passerait-il ? « À mon
avis, pas grand-chose. Et pourquoi donc ? Parce que la majorité des prêtres ne
voudra pas aller à l’encontre des souhaits implicites ou explicites des
bureaucrates diocésains.
La vie d’un prêtre peut très facilement se
transformer en purgatoire s’il fait quoi que ce soit en rupture avec les “experts
liturgiques”. Bien des prêtres qui auraient souhaité proposer à leurs
paroissiens l’ancienne messe […] voudront éviter les problèmes qu’ils
ont tout lieu de prévoir de l’autorité supérieure ». L’ “économie de
marché” s’accorde mal avec l’“économie dirigée” de type soviétique…
Voter
avec ses pieds
Il conclut en bon Américain, très étranger et
fort ignorant du “modèle social français” : « En économie, la
concurrence est une bonne chose : les gadgets sont mieux faits quand il y a
plusieurs fabricants de gadgets. De même, en religion, la concurrence des
cultes peut être une bonne chose : la nouvelle messe (qui n’est pas si
nouvelle que ça) serait célébrée avec plus de révérence et d’efficacité
si l’assistance avait le choix d’aller à l’église une heure plus tôt ou
plus tard, pour assister à l’ancienne messe. C’est ce qu’on appelle voter
avec ses pieds ».
1.
Cf. la dépêche « Pope Benedict’s liturgies to change, says papal master of
ceremonies », du Catholic News Service (l’agence de presse et d’information
des évêques américains) en date du 21 mars 2006.
2.
www.catholic.com
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