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La
Tradition dans la lunette épiscopale
Abbé G. de Tanoüarn
Objections - n°5 - avril 2006
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Le
dossier traditionaliste était déjà très lourd, mais il y manquait une pièce
importante, la prise de position des évêques français. Depuis le 7 avril,
depuis l'assemblée de printemps qui a réuni Nos Seigneurs et la publication
d'un texte qui en marque les conclusions, le carillon catholique s'est enrichi
du son des cloches épiscopales françaises. Que pensent les évêques du
mouvement traditionaliste ?
« Nous sommes prêts, comme évêques, à nous
engager dans un vrai travail de communion ». La déclaration est encourageante.
Elle est nouvelle. Elle marque, il faut bien le dire pour mesurer l'importance
de ce texte, une sorte de “conversion du regard”, de la part d'un épiscopat
qui ne s'était pas encore penché sur “les traditionalistes”, leur
existence, leurs critiques de l'évolution ecclésiale, leurs propositions
pastorales.
On pourrait avoir l'impression que dans ce «
vrai travail de communion », c'est une écoute nouvelle des arguments
traditionalistes qui est en train de naître.
N'est-ce pas de cette manière, par une
ouverture aux critiques constructives que doit s'accomplir cette « réception
de Vatican II », dont parle le pape Benoît XVI ? Les évêques français
vont-ils enfin faire acte d'humilité, reconnaître la hâte brouillonne avec
laquelle, au nom de Vatican II, on a jeté, un peu partout en France, le bébé
avec l'eau du bain ?
Hélas, cette question légitime ne se pose pas
pour eux.
Le « vrai travail de communion » auquel fait
allusion Mgr Ricard, c'est celui des évêques français, court-circuitant
ouvertement le dialogue entrepris par Rome. Il s'agit surtout dans ces “conclusions”
précipitées, émises le 7 avril, de prendre les devants et d'annoncer à Rome
: les traditionalistes français, on s'en occupe. Nous-mêmes ! Et si le message
n'avait pas été compris en crypté, le voilà délivré en clair : « La mise
en place d'une structure juridique qui risquerait de distendre les liens de ces
fidèles avec leur pleine appartenance à leur Église diocésaine ne nous
paraît pas opportune ».
Les
évêques français sont-ils hostiles au dialogue ?
Il s'agit donc d'expliquer au cardinal
Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation du Clergé, que son projet
d'administration apostolique, qui a l'aval implicite ou explicite de tous les
épiscopats du monde, lui, Mgr Ricard, il s'y oppose ! Au nom de tous les
évêques français, il le déclare solennellement, il l'écrit. Tout ce qui se
fera désormais dans le sens d'une organisation juridique des traditionalistes,
conformément à la volonté affichée de la Curie romaine, se fera contre la
volonté clairement manifestée des évêques français…
Les conclusions de Mgr Ricard tiennent non
seulement du camouflet à la Curie mais d'un véritable coup de force
théologique. Il s'agit d'indiquer à Rome que les évêques français veulent
bien rencontrer les traditionalistes, discuter avec eux, mais ce sera uniquement
pour les convaincre que leur interprétation du Concile est d'ores et déjà la
bonne. « La communion peut s'accompagner de questions, de demandes de
précisions ou d'approfondissement. Elle ne saurait tolérer un refus
systématique du Concile, une critique de son enseignement ».
Le nouveau cardinal ne supporte pas « le refus
systématique » du Concile. Comme on le comprend ! Un refus de Vatican II, qui
proviendrait de l'esprit de système et non de l'esprit de foi, serait tout
bonnement insupportable, ou, pour reprendre son mot : intolérable !
Mais prétendre après cela que ce qui est
intolérable, c'est « une critique », vous avez bien lu, « une critique » de
« son enseignement », voilà qui relève d'une lecture infaillibiliste de ce
texte de 1000 pages qu'aucun théologien d'aucun camp n'avait jamais osé
soutenir comme possible. Et voilà qui met en cause de manière frontale le
discours de Benoît XVI à la Curie romaine et la doctrine que soutient depuis
longtemps le cardinal Ratzinger sur ce point.
Lorsque dans Les principes de la théologie
catholique, le cardinal Ratzinger expliquait que « la réception
authentique du Concile n'avait pas encore commencé » il soutenait que «
l'enseignement authentique » du Concile n'était pas connu du public et que ce
qui se faisait passer pour tel n'était pas un enseignement authentique. Ne
sous-entendait-il pas, par là, qu'il importait de « critiquer » ce que
certains, au nom de l'esprit du Concile, essayaient de faire passer pour
l'enseignement de Vatican II ? La prétention de Monseigneur Ricard à canoniser
les enseignements de Vatican II, en les soustrayant à la moindre critique,
avant que Rome ne se soit prononcé, avant que le lent travail proposé par
Benoît XVI le 22 décembre ait eu lieu, indique clairement la mauvaise foi avec
laquelle le pasteur envisage le dialogue.
Qui
fera ce travail de communion ?
Que devient « le vrai travail de communion »
auquel il se réfère ? C'est simple, dans l'esprit de Mgr Ricard, il s'agit
d'un travail unilatéral, imposé aux seuls traditionalistes. Au
lieu d'entendre leurs critiques constructives, au lieu de ménager des espaces
raisonnables de discussion théologique, le cardinal Ricard, intervenant à
brûlepourpoint, exige, comme préalable à toute discussion avec la Tradition,
que les traditionalistes rétractent « la moindre critique ».
Un tel diktat est absurde. Des critiques du
Concile, les revues de théologie, à droite et à gauche en sont remplies, tant
ce texte, long et ondoyant, se prête à l'interprétation, ainsi que le
remarque Benoît XVI, lorsqu'il en appelle à l'herméneutique. Apparemment
cette herméneutique, ce travail patient d'interprétation, tissé de critiques
et de propositions, Mgr Ricard n'en a cure. Pour lui, au moins en ce qui
concerne les traditionalistes, la discussion n'est pas de mise. La moindre
critique du Concile est « intolérable ». Oui, intolérable, c'est son mot,
pas le mien.
Que dire d'une réaction si hâtive ? On peut
penser qu'elle est à fleur de peau, qu'elle dénote une fragilité, que cette
façon qu'ont les évêques français de crier avant d'avoir mal, révèle une
faille cachée ou un défaut de la cuirasse. Effectivement, alors même que le
cardinal Ricard déclare qu'il refuse toute critique, il se garde bien
d'énoncer la moindre proposition caractérisant l'enseignement de ce Concile
qui ne tolère aucune critique. C'est que, pour lui, le Concile est un bloc. Il
ne se résume pas. Il s'assume
intégralement et sans une critique, ou alors on n'a pas le droit de se dire
fils de l'Église.
On reconnaît là la vieille pratique
totalitaire de ce que Jean Madiran appelait significativement « le noyau
dirigeant » de l'épiscopat français. Depuis des années, ce “noyau
dirigeant” fait passer de la marchandise de contrebande sous l'étiquette
conciliaire. Au nom d'une forme inédite (et non-dite) d'intégrisme que l'on
peut appeler, je crois de plein droit, l'intégrisme conciliaire. Nous avons, en
tant que catholiques, le devoir sacré de refuser cet intégrisme-là, pour tout
le mal qu'il a fait à l'Église.
De son côté que propose Mgr Ricard ? Que
met-il dans la balance de son « intolérance » revendiquée ? Il reconnaît du
bout des lèvres que « des abus ont pu voir le jour ». Notez bien qu'il ne
reconnaît pas ces « abus » comme des réalités, mais uniquement comme des
possibilités. Bref, il ne laisse aucune marge à la moindre négociation. Ce
faisant, il confirme, comme malgré lui, la nécessité d'une organisation
juridique regroupant les traditionalistes, en une sorte d'éparchie autonome par
rapport aux évêques. La fameuse “administration apostolique” dont on parle
à Rome devient une nécessité démontrée involontairement par nos seigneurs
eux-mêmes.
Une
porte de sortie
En ce sens, cette attaque frontale, à la fois
intempestive et maladroite, pourrait bien être non seulement une mauvaise
action (ce que tous les analystes soulignent aujourd'hui), mais une mauvaise
affaire pour l'épiscopat français, qui se lie les mains dans les négociations
à venir.
Si cette charge de cavalerie lourde n'est pas
rassurante pour l'avenir, il est juste de souligner que, tout en réduisant au
maximum sa propre marge de manœuvre, Mgr Ricard s'est laissé une porte de
sortie, une seule : « Dans les semaines ou les mois qui viennent, Benoît XVI
devrait donner des directives pour faciliter un retour possible vers une pleine
communion. Nous les accueillerons dans la foi et les mettrons en œuvre fidèlement
». Nous voilà rassurés. Malgré quelques écarts de langage, somme toute bien
cocardiers, le schisme gallican n'est pas pour demain…
Abbé
G. de Tanoüarn
Des
abus ont pu voir le jour
L'expression mérite d'être décryptée. « Voir le jour » ? C'est
par accident, c'est, en tout cas de manière contingente que l'on voit le jour.
C'est pourquoi d'ailleurs, il arrive que « voient le jour » des moutons à
cinq pattes. Ce sont sans doute là les abus auxquels le cardinal Ricard fait
allusion.
Mais précisons encore : ces abus, pour lui, n'ont pas forcément vu le jour en
réalité. Son expression est plus précise : ils ont « pu voir le jour ». La
nuance n'est pas mince ! Si les abus étaient réels, il faudrait les dénoncer
et même reconnaître qu'ils ont été trop facilement encouragés ou couverts
par la hiérarchie. Dans la bouche du cardinal Ricard, il s'agit de pures
éventualités.
La balance de Mgr Ricard penche donc d'un seul côté, au risque de dérégler
la pesée. Il déclare son intolérance à toute critique en provenance du
milieu traditionaliste, et, du côté des évêques français, il reconnaît une
possibilité d'erreur, qui, quand on y regarde de près, reste purement
conditionnelle dans son esprit. Autant dire : il s'agit simplement d'une fleur
de rhétorique. Oui, cette allusion à des abus, chez lui, c'est une clause de
style.
Intolérable
critique
« La communion peut
s'accompagner de questions, de demandes de précision et d'approfondissement.
Elle ne saurait tolérer un refus systématique du Concile, une critique de son
enseignement et un dénigrement de la réforme liturgique que le Concile a
décrétée ». C'est tout un champ sémantique, qui se trouve balayé par les
diverses expressions utilisées ici, celui du refus ou de la contestation. Pour
Mgr Ricard, c'est clair : sur le Concile on a le droit de poser des questions.
On ne peut pas se permettre la moindre critique. Toute critique passe pour “systématique”,
tout désaccord implique le dénigrement. On remarque que la loi rhétorique de
la gradation ne se trouve pas vérifiée dans ces quelques lignes. Au lieu de
pratiquer une sorte de crescendo verbal homogène, Mgr Ricard place “critique”,
qui est un mot neutre, au milieu d'une énumération qui détaille le « refus
systématique » et le « dénigrement ». Quel dogmatisme rhétorique ! Il se
donne l'air d'indiquer par là que pour lui toute critique du Concile relève de
la malveillance. Il n'envisage pas une critique “fair”, comme disent les
Anglais, fidèle et franche. bref, il soupçonne d'emblée ses adversaires de
mauvaise foi.
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