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La FSSPX, combien de divisions ?
Abbé de Tanoüarn
Objections - n°5 - avril 2006

Dans ce dossier présentant un état des lieux de la Tradition catholique, il faut envisager d'abord la pièce maîtresse du dispositif. Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, il s'agit évidemment de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Rome même ne s'y est pas trompé, qui privilégie, dans son approche de la Tradition catholique, le dialogue avec le supérieur de ladite Fraternité, Mgr Bernard Fellay. On a beaucoup reproché à cet évêque de changer de discours. Nous montrons ici qu'il n'en est rien…

Si elle a survécu à deux crises épouvantables, si elle est sortie vivante de la tornade de l'été chaud et de ses suites, en 1976-1977, au terme de laquelle il ne restait au Séminaire d'Ecône qu'une quarantaine de séminaristes, sur les 120 que l'on pouvait y compter “avant” ; si elle a géré si sagement les sacres de 1988, alors qu'elle était pointée du doigt par le monde entier, on peut penser que l'essentiel pour la FSSPX est de rester fidèle à elle-même. Tant que la noble ambition de Mgr Lefebvre - servir l'Église malgré elle - continuera de vivre en elle, elle a peu de soucis à se faire pour son avenir. « Les dons de Dieu sont sans repentance » ; c'est aux hommes à y être fidèles.

Mgr Fellay redisait à sa façon cette identité profonde de la FSSPX, dans un entretien qu'il donnait à Pacte (n°56, été 2001) : « Nous essayons à notre place, disait le supérieur de ladite Fraternité, de faire tout ce que nous pouvons pour une vraie réforme de l'Église (...) Nous préférons conserver notre liberté d'agir pour toute l'Église, sans nous laisser mettre en isolement dans le zoo de la Tradition. » Son discours, au-delà de variances superficielles, est resté sensiblement le même jusqu'à aujourd'hui.

Mais alors, direz-vous peut-être, si Mgr Fellay entend diriger un mouvement catholique au service de l'Église, pourquoi pratique- t-il une sorte d'attentisme, lorsqu'on lui propose un “pont d'or”, une prélature personnelle ou, “encore mieux”, une administration apostolique. Pourquoi l'abbé de Cacqueray déclare-t-il, dans la même ligne, que d'accord pratique, il ne veut qu' « au cas par cas et localement », c'est-à-dire sans aucune forme de régularisation canonique ?

En 2001 comme en 2006

La réponse à ces questions cruciales sur l'attitude de la FSSPX ne me semble pas avoir été donnée par les proches de Mgr Fellay. On la trouve pourtant déjà dans la même interview

de Pacte. Mgr Fellay aime à développer ce thème, qui apparaissait dès 2001, dans ses déclarations publiques. Voici le texte de Pacte, il n'a pas une ride : « La solution évidemment, ce n'est pas chez nous qu'il faut la chercher, c'est à Rome. Il faut que Rome remette les choses en place, revienne à la Tradition, à sa Tradition. Alors tout ira tout seul. Il n'y aura plus de problème de la Fraternité. »

On a entendu la même chose de la même personne, au mois de février 2006, sur Radio-Courtoisie : « Le problème n'est pas chez nous, il est chez vous. Réglez le problème chez vous et nous viendrons chez vous ». Restaurez l'Église de Pie XII et il n'y aura plus de problèmes : « Nous viendrons » !

Autant la première partie du propos est généreuse et enthousiasmante : le service de l'Église par la Résistance à l'autorité s'il le faut. Radio-Londres en quelque sorte. Autant la deuxième partie du discours de Mgr Fellay, quand on y réfléchit (je ne l'avais pas fait jusqu'ici, je le reconnais volontiers), peut présenter des aspects inquiétants, à force d'attentisme.

Dans cette seconde perspective, en effet, il y a un “chez nous” et un “chez vous”, l'idéal demeurant le trop commode “chacun chez soi”.

Pouvons-nous vraiment concilier ce discours sécuritaire du chacun chez soi avec le discours d'action et d'engagement qui réclamait de « conserver notre liberté d'agir pour toute l'Église » ? Il me semble que c'est difficile. Je le dis sans agressivité, uniquement appuyé sur la liberté que Mgr Fellay a tenu à me rendre, il y a un an maintenant.

En relisant ce vieil entretien, tout ce qui me semblait flou, dans les allers et retours de ces derniers temps, m'apparaît comme extrêmement clair. Tant que Mgr Fellay répétera qu'il n'est pas chez lui dans l'Église de Rome et que le pape n'est pas chez lui dans la Fraternité Saint Pie X, la sécurité du Bercail que l'on s'est fabriqué pour soi l'emportera sur l'urgence risquée du service de l'Église. Et le Statu-quo a ainsi de longues années devant lui.

Mouvement ou institution

Mais, dans ces conditions, la Tradition, qui a été conçue comme un mouvement, tend à changer de nature. Au lieu de mobiliser des moyens pour un but plus grand que soi, on tend surtout à s'immobiliser - ou encore à mobiliser des moyens pour soi et pour sa propre sécurité.

La Fraternité devient un but en soi. Elle tend à se considérer elle-même comme une Institution, munie des droits sans appel de haute et basse justice, comme nous l'ont montré les événements qui l'ont secouée en 2004. Ce passage, du mouvement à l'Institution, que déplorait déjà en son temps M. l'abbé Duboscq, me semble, sous apparence de bien et de mieux, sous couvert de progrès, particulièrement inquiétant.En effet, toute institution existe en tant qu'elle est représentative.

Mais que représente la Fraternité, transformée (indûment) en Institution par ses Supérieurs ? Elle-même. Rien d'autre qu'ellemême, ses fidèles, ses infrastructures, ses évêques et ses prêtres. Et qu'est-ce que tout cela ? Un noyau de ferveur, sans doute, mais trop restreint pour devenir jamais un laboratoire de l'avenir.

La Fraternité Saint Pie X, combien de divisions ? Tout dépend. Accepte-t-elle ce qui est son statut historique : demeurer un mouvement de prêtres et de fidèles, dirigé par des évêques, pour se mettre au service de l'Église, et, s'il est possible, la sauver d'elle-même ? Accepte-t-elle de rester ce qu'elle est, ce qu'elle a toujours été ? Ou bien entend-elle accéder à une dignité quasi-institutionnelle, qui ferait de son établissement dans le monde et de sa “paix intérieure” une fin en soi ?

L'avenir le dira, plus vite qu'on ne le pense. L'élection du nouveau supérieur général, d'abord fixée, pour des raisons de convenance personnelle, après les mutations du 15 août prochain, a été replacée à sa date statutaire, au mois de juillet. Le choix des quelque 40 électeurs ne sera pas un choix personnel, mais un choix entre deux types de Fraternité, le type lefebvrien (la Fraternité une œuvre d'Église) et le type helvétique (la Fraternité, une sécurité pour ses membres et ses fidèles). Il ne s'agit pas seulement de stratégie romaine, il s'agit de l'identité d'une société religieuse, dont le rôle jusqu'à maintenant a été capital pour l'Église - et qui, à s'enfermer en elle-même en laissant passer le train de l'histoire, risque de perdre cette audace pour le service de Dieu et cette divine intransigeance qui la caractérisait de naissance.

Mécanisme

À propos de ces noyaux de ferveur, qu'il considère comme caractéristiques de nos sociétés post-modernes, le sociologue Michel Maffesoli emploie le terme (non dépréciatif dans sa bouche) de tribu. Il y a la tribu des rockers, la tribu des rollers. Il y a des tribus qui se constituent autour de la différence de leur orientation sexuelle. Il y a aussi, au sein des grandes religions, comme l'explique Danielle Hervieu-Léger, citée par notre ami Louis Kolle (voir l'article p.22) des groupes (certains charismatiques par exemple) qui se réinventent une ferveur. La tradition, est-ce donc seulement cela aussi ? Un produit de la décomposition sociale, qui fournit à ceux qui sont “en manque” une sorte de ferveur compensatoire auto-centrée ? Non, et mille fois non !

La ferveur tribale, celle que je vise, peut être religieuse ou profane. Maffesoli parle de transe. Elle constitue pour les individus un but à atteindre, en particulier grâce à un entraînement collectif ou à des exercices d'autopersuasion. Tout cela n'a rien à voir avec le beau fruit de la piété, que Dieu donne à qui il veut, quand il veut, pour mieux l'attirer au service de son Royaume.

Je ne suis pas en train d'accuser tel ou tel de propager une ferveur tribale. Ce qui est à craindre, en cette matière, ce n'est pas l'initiative individuelle, c'est une sorte de mécanisme qui frappe infailliblement tout organisme autocentré, en particulier aujourd'hui, où la fragilité des cadres sociaux prive la subjectivité individuelle du régulateur naturel qu'elle était pourtant en droit d'attendre. Le destin tribal pourrait être, si l'on n'y prend garde, l'accomplissement logique d'une dérive, non voulue en elle-même, mais préparée néanmoins par une prétention mortelle à l'autosuffisance institutionnelle.

On me dira : mais Dieu ne permettra pas cette dérive. Encore faut-il que nous soyons capables de Le servir, purement (je veux dire : sans nous servir nousmêmes, au passage, sans nous attarder à nous-mêmes, sans céder au narcissisme). N'oublions pas la sentence que Dieu prononça par la bouche de Jésus-Christ sur le Pharisien, parce qu'étant pieux, « il se croyait supérieur aux autres ». L'Évangile le compare au Publicain, le Percepteur honni, qui se tient en retrait : « Celui-ci est sorti justifié, l'autre non ».

Abbé G. de Tanoüarn


Précisions sur la ferveur
Certaine ferveur est de mauvais aloi. Cette remarque pourra sans doute me valoir le soupçon de quelques bonnes âmes, inquiètes de ce que je parais disqualifier la ferveur. À celles-là, qui souhaitent être éclairées et à d'éventuels inquisiteurs, qui, eux, ne le souhaitent certainement pas, je répondrais à l'avance : il y a ferveur et ferveur. La vraie ferveur est un don de Dieu, qui nous aide à sortir de nous-mêmes en nous apprenant à mieux Le servir. La fausse ferveur est le culte que l'on rend à ses propres sentiments. Ce culte peut être spontané, il correspond alors à un trait de caractère, celui qui marque ce que dans le langage courant on nomme “un allumé”.
Il peut exister aussi une sorte d'entraînement à la ferveur, une autopersuasion qui peut toucher certaines âmes dévotes. Il faut dans ce cas faire très attention et ne pas confondre cet emballement psychologique personnel avec un don du Saint-Esprit.

 

 

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