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La
vérité des traditionalistes
Abbé G. de
Tanoüarn
Objections - n°5 - avril 2006
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Notre
dossier sur la Tradition catholique fait le point sur les forces et les
faiblesses du Mouvement traditionaliste. Il lui manquerait quelque chose, si l’on
oubliait de répondre à une question encore plus fondamentale : celle des
motivations d’un tel mouvement, unique, il faut le dire, dans toute l’histoire
de l’Église. Comme est unique, et non encore surmontée, la crise moderniste
qui sévit dans l’Église depuis le début du XXe
siècle.
Inutile de tourner autour du pot : les
motivations des traditionalistes relèvent d’une défense et illustration de
la vérité catholique. Ceux qui veulent cantonner le traditionalisme à ses
caricatures, en en faisant un intégrisme, crispé sur des survivances
sociologiques, ou en le réduisant à un sentimentalisme, attaché sans motifs
à des formes du passé, ne prennent pas la mesure du débat.
Les pommes de discorde sont deux : le Concile et
la messe traditionnelle, dite de saint Pie V. Les deux critiques sont
inséparables, car Vatican II, comme le nouveau rite liturgique, exprime, pour
le chrétien, un nouvel ordre des fins, où l’humanisme s’identifie avec la
religion chrétienne. Dans mon livre Vatican II et l’Évangile, j’ai parlé
à ce sujet de « la religion de Vatican II ». Je désigne par là non pas une
nouvelle foi, de nouveau dogmes ni même la négation en principe de certains
dogmes, mais plutôt l’idée que, derrière un statu quo formellement absolu
(l’Église a gardé la même foi extérieurement), en réalité, c’est une
nouvelle relation entre l’homme et Dieu, une nouvelle praxis chrétienne, ou
encore en langage ecclésiastique une nouvelle “pastorale” qui s’est
substituée à l’ancienne. Cette substitution s’opère à travers l’inversion
philosophique des moyens et des fins, la nouvelle religion étant fondée sur le
leitmotiv du “service de l’Homme”, alors que l’ancienne reposait sur l’impératif
du service de Dieu.
Le pape Paul VI a particulièrement bien saisi
cette inversion (et ce que j’appellerai “la nouveauté conciliaire”) dans
son célèbre discours de clôture. Celui qui restera dans l’histoire, plus
encore sans doute que Jean XXIII, comme le pape du Concile, a souhaité à
travers une conclusion fracassante et lyrique, fournir une première clé d’interprétation
au Concile, en mettant d’emblée hors-jeu une lecture trop modérée de ce
texte qui, en lui-même, fut somme toute un texte de compromis. Déclarer : «
Le culte du Dieu qui s’est fait homme est allé à la rencontre du culte de l’homme
qui se fait Dieu, un immense courant de sympathie a débordé du Concile sur le
monde » et dans ce contexte, ajouter « Nous aussi, nous plus que tout autre,
nous avons le culte de l’homme », c’est, dans le moment où ces formules
ont résonné, retirer toute légitimité à une interprétation purement
réformiste du Concile, en instaurant au cœur de l’Église la rupture
rhétorique et la métamorphose religieuse par voie d’autorité.
Petit à petit néanmoins, le Saint Esprit
guidant son Église par des voies qui échappent à tout calcul humain, le
concile Vatican II est perçu autrement, non plus comme instaurant une rupture
matricielle, mais plutôt comme accordant différentes voix dans une sorte de
polyphonie réformiste. Sous le gouvernement prestigieux du pape Jean Paul II,
naît l’idée que le Concile est encore en train de se faire, que ses fruits
sont à venir et qu’une interprétation moins triomphaliste des textes de
cette Assemblée doit voir le jour, sous l’autorité rectrice du Pontife
romain, dont le rôle se réévalue soudainement. Le pape pèlerin est allé
lui-même porter cette inflexion herméneutique aux foules. Ses 14 encycliques
constituent un nouveau corpus textuel, aussi important que le précédent. Nous
leur devons une prise de conscience progressive des problèmes posés par
Vatican II à la conscience chrétienne. À partir de Veritatis splendor (1993),
en effet, s’opère un véritable tournant. Au rebours de certains textes de
Vatican II (DH 3 par exemple), le pape insiste sur l’antériorité de la
vérité sur la liberté. Hélas, il ne voit d’application pratique de cette
dialectique restauratrice que dans l’ordre des principes moraux (un acte est d’abord
mauvais en lui-même et non pas à cause de l’intention qui l’anime). Mais
cette nouvelle insistance sur la vérité objective l’a amené à mettre en
cause à plusieurs reprises avec un courage magnifique ce « totalitarisme
démocratique », qui refuse, par principe toute loi naturelle et parvient ainsi
à légaliser le n’importe quoi.
Benoît XVI poursuit le mouvement amorcé par
son prédécesseur. Dans le discours à la Curie qu’il a prononcé le 22
décembre 2005, il disqualifie définitivement « la rupture » comme clé d’interprétation
du Concile. Jamais la condamnation d’une instrumentalisation révolutionnaire
du Concile n’avait été aussi claire. Surtout, ce pape dit de transition,
règle définitivement le problème que pose Vatican II à la conscience
chrétienne. Au lieu de continuer à présenter ses Constitutions, ses
déclarations et ses décrets comme jouissant en elle-même d’une autorité
normative, il prononce le mot magique d’herméneutique. Vatican II se trouve
ainsi publiquement mis en débat. Une seule condition est posée pour
approfondir « les pistes » ouvertes par ce Concile : le lire sans jamais
rompre avec la Tradition. Il retrouvait ainsi, devant ses collaborateurs, les
accents bien connus de Mgr Marcel Lefebvre, acceptant devant Paul VI de « lire
le Concile à la lumière de la Tradition ».
La dynamique interprétative mise en place dans
ce discours de Benoît XVI est proprement irréversible. J’y vois la victoire
de la contestation respectueuse, soutenue depuis 40 ans par le mouvement
traditionaliste. Désormais, il est impossible d’excommunier personne au nom d’un
Concile qui n’est plus une loi, mais un texte, avec sa polysémie et le
travail impéré d’une restitution de son contexte : la grande Tradition de l’Église.
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