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L’Église et son autorité
Frère Ansgar Santogrossi
Objections - n°4 - mars 2006

Frère Ansgar Santogrossi vient de publier, aux éditions Hora decima, un livre important sur les limites de l’œcuménisme. Il a bien voulu continuer avec les lecteurs d’Objections sa méditation sur l’Église. Sa contribution, toute personnelle, s’inscrit très bien dans le prolongement de notre dossier sur “l’hérésie du siècle”.

Au cours du vingtième siècle de nombreux théologiens ont critiqué le schéma “tridentin” qui aurait divisé l’Église en deux, l’Église enseignante douée d’autorité (Ecclesia docens) et l’Église enseignée purement passive (Ecclesia discens). A cela on oppose l’idée que l’enseignement de l’Église est plutôt l’expression de l’autoconscience de foi que l’Esprit Saint souffle dans toute l’Église qui serait une seule vie de communion organique avant d’être une société visible et juridique. Cette vision se veut inspirée par le théologien le plus célèbre de l’école de Tubingue en Allemagne au XIXe siècle, Johann-Adam Möhler. En synthétisant certains thèmes patristiques avec la philosophie sociale du romantisme allemand, Möhler voulait comprendre l’essence de l’unité catholique dans son opposition à l’individualisme protestant : le protestant interprète la Bible tout seul, tandis que le catholique ne veut pas comprendre sa foi si ce n’est en communion et harmonie avec tous les baptisés partageant avec lui la même vie de l’Esprit.

De là, une vulgate néo-möhlerienne et œcuménique très répandue aujourd’hui. Certains théologiens prétendent, par exemple, que les définitions dogmatiques sont autant d’expressions d’une vie commune et qu’elles n’ont d’autre autorité que celle de la foi antécédente de l’Église en tant qu’unité organique. D’où la nécessité de la “réception” des décrets dogmatiques pontificaux par les Églises particulières : sans cette réception, pas d’“enseignement de l’Église”. Conséquence : pour beaucoup d’œcuménistes, étant donné l’absence d’un consensus des Églises orientales avec l’Occident, on doit dire que les conciles convoqués par les papes au cours du deuxième millénaire ne contiennent pas une énonciation authentique de la révélation qui serait valable pour tous les chrétiens ; partant de là, il n’y a plus d’obstacle à la pleine communion entre “l’Église catholique romaine” et les Églises orthodoxes puisqu’en vertu de cette nouvelle ecclésiologie, ces Églises ne recevraient pas lesdits conciles comme règles de leur foi. Un théologien illustre déclara au cours des années 60 que si le pape définissait une doctrine sans qu’elle soit clairement présente dans les sources de la révélation ni qu’il y ait un consensus large dans l’Église, il n’y aurait pas d’infaillibilité.

Dans une telle théologie de la “réception”, où, en bonne logique, aucun chrétien ne recevrait l’enseignement de l’Église avant de savoir si tous les chrétiens y sont consentants – on peut imaginer quel blocage produiraient de tels principes ! - on se trouve en réalité dans le cas de figure d’une Église qui n’écoute qu’elle-même. Le seul moyen d’éviter un tel cul-de-sac tout en gardant la nécessité de l’Église comme lieu divinement institué pour l’acte de foi, c’est d’accepter la priorité métaphysique et logique de l’autorité de l’ecclesia docens par rapport à la foi de chaque baptisé.

Comment fonder la nécessité de l’autorité dans l’Église ? Nous avons montré les blocages qu’engendrerait la vision théologique du consensus des chrétiens envisagé comme condition nécessaire à toute nouvelle définition ou à tout rappel doctrinal dans l’Église.

« Je ne croirais pas en l’Evangile, si… »

Saint Paul nous a dit : «Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d’abord croire en Lui ? Et comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans quelqu’un pour prêcher ? Et comment prêcher sans être d’abord envoyé ? Ainsi la foi naît de ce que l’on entend et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ ». (Rom. 10). Le Christ est le seul Maître et pourtant on l’écoute en écoutant ceux qui ont été envoyés. Saint Augustin disait qu’il ne croirait pas dans les Évangiles, s’il n’y avait pas été poussé par l’autorité de l’Église catholique : Evangelio non crederem nisi me Ecclesiae catholicae non commoveret auctoritas.

Quelle est au juste cette “autorité”, à travers laquelle la foi reçoit la Vérité Première – “de source audible autorisée” ? Le Christ a promis d’“être avec” les envoyés jusqu’à la fin du monde, et c’est pour cette raison que Dieu attend de tous les hommes qu’ils croient au message des envoyés parce que ce sont eux qui le transmettent. L’auctoritas en acte plénier des successeurs des apôtres consiste en l’“être avec” du Christ avec eux quand ils signifient leur intention de dire, d’une façon ou d’une autre, ce que le Christ et les apôtres ont dit, du moins implicitement, une fois pour toutes. Est objet de foi divine et catholique ce qui est contenu dans la Parole de Dieu et que l’Église propose comme révélé, dit le concile Vatican I.

Pour Vatican I aussi, on vient de l’entendre, la foi est acceptation de l’enseignement “de l’Église”, et non seulement “des pasteurs”- Et sanctam ecclesiam catholicam dit un article du Credo. Et l’on se pose tout naturellement alors la question de savoir comment l’individu peut être un enseigné s’il est lui-même partie prenante de l’Église qui “enseigne”. On peut répondre que l’enseignement “de l’Église” est tout d’abord sa tradition : à tout moment depuis la mort du dernier apôtre, l’Église a consisté en un ensemble de baptisés “des évêques jusqu’au dernier des fidèles” (Augustin) qui a déjà confessé ce que Dieu a dit. L’enseignement “de l’Église” est tout d’abord ce qui a été cru partout, toujours et par tous (Vincent de Lérins) dans l’Église du passé, et c’est ainsi que je le reçois comme quelque chose qui vient d’en-dehors de moi-même. Or il se trouve qu’une partie de l’Église, l’unique Église du passé et du présent, croit en la Parole divine en la proférant devant l’assemblée (in medio ecclesiae) tandis que l’autre partie y croit en la répétant en quelque sorte après les pasteurs. St Jean Damascène demanda au Christ de le « nourrir avec les eaux de la saine doctrine par vos pasteurs que vous faites paître vous-même et qui paissent à leur tour votre troupeau. Et vous, illustre assemblée de l’Église, recevez la doctrine de la foi sans mélange d’erreur, comme elle nous a été transmise par nos Pères ».

Nous voilà devant la distinction entre l’Église enseignante et l’Église enseignée, à l’intérieur de l’Église tout entière, l’Église de “tous” (St. Vincent de Lérins), dont la confession une mais structurée enseigne les générations futures.

 

 

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