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Georges Laffly : quand la vérité est romanesque
Marie d’Armagnac
Objections - n°4 - mars 2006

Georges Laffly est sans doute le meilleur critique littéraire catholique aujourd’hui. Lorsqu’il nous emmène chez un auteur, ce n’est pas pour picorer les miettes! Mais ce pantagruélisme littéraire, qui est comme insatiable, ne peut que mettre en appétit les lecteurs, jeunes ou moins jeunes, qui ont compris que la vérité n’avait pas tant besoin d’être cherchée que d’être exprimée. Marie d’Armagnac s’est invitée sans façon au Grand conseil des diseurs.

Pierre Boutang: « Peut-être n’y a-t-il de poésie véritable que dans l’acte de fonder l’existence et dans la croyance qu’elle mérite d’être fondée?»

Jean Paulhan: « S’il y a véritablement Dieu, le Divin, le Sacré, il doit se trahir inévitablement par un certain défaut dans notre raisonnement, un trou dans notre logique, enfin une signature où se révèle son action occulte.»

Jacques Perret: « Nous étions là, tassés dans le réduit de nos mystères innocents, tout y était complice, d’une complicité immémoriale, et nos voix retrouvaient ce trésor fraternel et secret, qui est le trésor des vieilles coques.»

Georges Bernanos: «La machine pense contre l’homme, parce qu’elle pense à sa place. Elle le dépossède non seulement de sa propre opinion, mais de la faculté d’en avoir une»

Roger Nimier: «Je revenais en France. J’allais donc beaucoup lui demander: Une civilisation, une patrie, une religion, ces mots ont un sens… Il me restait donc un avenir»

Marcel Jouhandeau: «Les âmes qui étaient marquées de ce sceau n’étaient pas préservées du mal, mais de la médiocrité dans le bien et dans le mal»

Valéry Larbaud : « Entre le monde et nous mettre un intervalle, et ne pas permettre au monde de le franchir »

En 1992, en préface de Mes livres politiques (Publications F.B, 1992), François Brigneau esquisse un portrait vivant et chaleureux de Georges Laffly. On ne peut résister au plaisir de le citer: «Laffly, c’est aussi un caractère, et qui dit caractère dit caractère difficile. Il est rigoureux, exigeant, parfois ombrageux. Il ne transige pas sur ce qui lui paraît essentiel. Il préfère rompre plutôt qu’accommoder ». Nous pourrions ajouter que cet honnête homme s’apparente, par son immense érudition, bien plus aux temps anciens qu’à notre dérisoire modernité. Il ne vit pas retranché du monde. Ce n’est pas un sceptique désespéré, ni un esprit chagrin, ou stérile. Et il nous le montre encore aujourd’hui en nous livrant ce Grand conseil, tenu par des écrivains capitaux, et tels que Paulhan, Nimier, Perret, Jouhandeau, Boutang bien sûr, ou encore Fraigneau, Bernanos.

Ce n’est pas une simple promenade littéraire qu’il nous offre ici. Loin d’un divertissement intellectuel réservé à quelques dandys, Laffly nous entraîne dans une sorte de quête spirituelle. Il s’est plu à rechercher, chez ces écrivains d’un XXe siècle terrible, mais fécond, le souci de la civilisation, dont l’aspect essentiel est le rapport de l’homme avec le divin.

Ce qui frappe tout d’abord dans cette série d’essais, c’est l’extrême diversité des auteurs abordés. Elle reflète la grande liberté intellectuelle de Laffly, son érudition sans frontières, sans préjugés. En cela, il est hors du temps. Certains de ces écrivains sont catholiques – Bernanos, Jouhandeau, Perret – d’autres non – Monnerot, Paulhan. Mais tous nous donnent des clés pour comprendre le siècle passé, et surtout aborder celui qui commence.

Chez eux, Laffly recherche toute trace d’espérance culturelle, tout ce qui dans leurs œuvres relie la Terre au Ciel, tout ce qui peut, pour reprendre l’expression de Monnerot, combler cette «famine du sacré». Famine est ici entendue non pas au sens d’extinction du sacré, mais plutôt comme un manque, un vide: on ne peut indéfiniment ignorer cette face souvent cachée de l’homme, cette aspiration vers le divin, cet élan métaphysique inhérent à sa nature même.

Où est l’ordre du monde? Dans le langage

Chez Paulhan, c’est dans l’étude du langage que Laffly traque cette aspiration à un autre monde, un second monde. Paulhan écrivait en 1964: «Qu’il y ait en nous comme une donnée suprême, comme une dimension de notre moi originel – un Paradis qui ne se laisse pas regarder de face, mais de biais seulement (et nous le savons), la preuve irréfutable m’en paraît un langage où un même mot désigne ces deux opposés: une chose et un mot; ces deux termes opposés encore: une idée et un mot. Or c’est le cas de tout mot, de toute phrase. (…) Je suppose seulement que la pensée du poète est plus près que toute autre pensée de cet état paradisiaque où les contraires sont identiques.» Et Laffly de commenter: «Nous voilà passés du souci du langage à l’ordre du monde: à l’essentiel. Cet accord des contraires réconciliés, c’est bien l’un des rêves fondamentaux où l’homme conçoit un autre état (et je dirais volontiers qu’il s’en souvient) proprement paradisiaque. » Il conclut: «cette idée de l’âge d’or est réellement constitutive de la nature humaine».

Mais cette méfiance, cette critique du principe de non-contradiction – qui pour notre part semble difficilement acceptable tant elle peut être source d’erreurs –, Laffly la contourne, l’anoblit en quelque sorte: «La surprise de retrouver le réel dans l’assemblage de quelques mots (qui nous font oublier qu’ils sont des mots) nous jette dans le ravissement. (…) Le ravissement tient au fait que les mots bien employés contiennent la substance même de l’objet, fixent la réalité. Ils nous la rendent.» Boutang aussi apporte sa pierre à l’édifice, quand, à travers ses fables, il fait dire à Madame Dorlinde que la poésie recèle une force contre-révolutionnaire grâce à son langage décalé, reflet d’un monde différent de celui dans lequel nous sommes plongés, mais auquel nous ne pouvons adhérer.

Richesse de la fantaisie

Son essai sur Perret nous le restitue intime, familier, fantaisiste et profond à la fois. Il rend toute la cohérence et le génie de l’œuvre de ce «chrétien classique [qui] ne se permet pas d’innovation avec le dogme, [et qui] entend exprimer la permanence d’un type d’homme, permanence qui tend à l’identité à travers les âges». Ses œuvres nous disent ses fidélités, ses blessures, avec cette ironie douce qui n’exclut en rien une espérance irréductible, celle du Ciel où ce grand voyageur put enfin poser son sac.

À première vue, les romans et nouvelles de Jacques Perret sont extravagants, délirants, drôles, une sorte de divertissement joyeux grâce auquel le lecteur se retranche, quelques instants, d’un monde trop âpre. Mais Laffly sait voir, au-delà des mots, la valeur d’un monde fantastique qui est un moyen de communication avec le surnaturel. Ici, point de surréalisme, de modernité débridée.

Chez Jacques Perret, dit-il, «Le passé est présent, accessible à chaque instant. Ce n’est pas le cas pour nous? C’est que nous l’avons renié, effacé. C’est le tribut qu’exige le monde technique.»

Le génie, la grandeur de Perret, c’est, pourrait-on ajouter, « l’enfance retrouvée à volonté». C’est cet âge métaphysique que connaît l’enfant, et qu’il perd à mesure qu’il grandit, que son âme s’obscurcit, que son esprit s’encombre de choses essentielles, et d’autres inutiles. Cet âge où le rapport avec le passé, le divin et l’au-delà lui sont naturels, cet âge même qui suit de près l’apprentissage du langage et la structuration de la pensée. Et il y a du Marcel Aymé dans cet extrait de Raisons de famille, cité dans Le Grand Conseil: enfant, «debout sur un prie-Dieu dans la nef de saint Sulpice, je m’évoquais enfant de chœur au baptême de Clovis et dans la classe de Melle Chantreuil, enfantine 2, je me retrouvais petit gaulois demi-nu à chanter son béaba en paissant des cochons noirs». Lors de la guerre d’Algérie, il refuse de renvoyer sa médaille militaire en lançant: «Impossible, c’est Gaston de Foix qui me l’a donnée, ça lui ferait de la peine».

Du panache!

Cette grandeur, ce panache, Georges Laffly les retrouve chez Nimier, chez Fraigneau dont il loue l’exigence, l’insolence salutaire, l’esprit de jeu qui, plus que la marque d’un esprit délié, traduit l’indépendance d’esprit. Ils nous font renouer avec nous-même, et dans ce monde de questions qui s’est substitué à un monde de réponses, la lecture de leurs œuvres nous rappelle l’exigence intellectuelle et morale inhérente à notre nature, qu’il nous faut retrouver, cette ascèse de l’âme et de l’esprit qu’il nous faut pratiquer.

Se penchant sur Larbaud «le Sage», Laffly se fait plus personnel, plus intime. Quand il décrit cette faculté d’attention aux choses, aux gens, aux objets bien faits, policés par le temps et le travail, et qu’il nomme «cette forme temporelle de la piété, [qui est] manifestation de respect, de reconnaissance, d’amour», on songe au personnage de Laffly tel que peut le deviner le lecteur qui ne le connaît pas, et qui le découvre. Si sa modestie l’a fait s’effacer derrière ces grands auteurs, dont la fréquentation doit nous faire retrouver le chemin de l’Espérance, on quitte Le Grand Conseil, certes revigoré, mais aussi ébloui par un écrivain qui pratique «le plus naturellement du monde un français simple et précis, sans recherche d’effets, sans fioritures et qui [a] du ton» (François Brigneau).

Il n’aurait pas démérité à tenir, lui aussi, Le Grand Conseil.


Georges Laffly, LE GRAND CONSEIL , Éditions de Paris, 208 pages, 24 euros objection n°4 20/03/06 9:35 Page 41


À propos de Paul Léautaud : « On le lit parce que sa manière d’écrire, son style, relève d’un ordre supérieur à ce qu’il lui arrive d’exprimer quand il traite de sujets extérieurs à son domaine. Son instrument est plus civilisé que ses opinions, qui véhiculent souvent les préjugés du moment.» (in Le Lovendrin, spécial Léautaud)


«Notre langue est entrée dans son cours souterrain, se charge chaque année un peu plus de boue et d’ordure. Qu’elle retrouve ou non sa « vallée sous le ciel », ces livres, comme les autres grandes œuvres nées de la France depuis neuf siècles, survivront, peut-être sous d’autres cieux, comme vivent les poèmes écrits dans des langues mortes, mais qui nous parlent toujours ». Georges Laffly, Le Grand Conseil.


Commentant l’œuvre de Jules Monnerot et les clés qu’il donne pour un sursaut de notre civilisation : «Reviviscence favorisée par un choc étranger, hostile, dont on sent qu’il met en péril notre être même. Je cite : “Le sursaut peut être possible si nos enfants nous ressemblent”. Il est vrai que Guy Debord, profondément pessimiste, juge que “les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères.” C’est tout le débat de ce début de siècle ».

 

 

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