Numéros parus

 

Centre Saint Paul

 

Centre St Paul

 MetaBlog

TradiNews

Le sens de l’Écriture et la foi des chrétiens
Abbé C. Héry
Objections - n°4 - mars 2006

S’agissant de la Thora, du Nouveau Testament, voire de la Constitution européenne ou du concile Vatican II, le problème posé aujourd’hui est celui du sens. Cette question, depuis l’après-guerre, est surinvestie par la philosophie du langage, par la phénoménologie, par le courant structuraliste et la langue de bois. Avec le recul que procure la sémiotique, on pourrait dire, si les mots ont un sens, que le sens est un mot qui n’en a pas, parce qu’il en a trop. Dans cette équivoque s’est engouffré notre bon vieux modernisme. Il s’est taillé des habits neufs avec les calembredaines du sens, mais c’est toujours le même message…

Ce que le texte biblique dit sur lui-même, il revient, paraît-il désormais, à la critique interne et à la critique textuelle de l’indiquer. Sa déconstruction y injecte alors un sens nouveau, reflet de la foi actuelle du peuple de Dieu, elle-même évolutive dans l’Histoire et aujourd’hui devenue majeure et consciente de son évolution. Le critère ultime de l’interprétation moderniste est au fond le sujet croyant, qui donne sens et qui fait sens, historiquement et collectivement. Ce critère se situe en deçà du libre examen de Luther qui prêtait encore à la Bible un sens littéral. La place est libre alors pour un nouveau «sens spirituel» ou «symbolique », non plus fondé sur la lettre, comme l’affirmait saint Thomas, mais sur la conscience des croyants – surtout des spécialistes.

«J’ai la conviction qu’en définitive, le cœur du Concile consiste en ceci: il a ouvert à nouveau le problème de l’interprétation de la foi; il a remis en mouvement le processus de l’exigence herméneutique.» Ce propos d’un théologien italien, Dianich, est rapporté par Ignace de la Potterie dans l’ouvrage collectif L’Exégèse chrétienne aujourd’hui (Fayard, 2000, p. 37). Le jésuite ajoute ce commentaire: «Cela vaut tout particulièrement pour l’exégèse. La question n’est plus de savoir s’il est légitime pour les catholiques de pratiquer l’exégèse scientifique (c’était le combat des années quarante). Le problème de fond aujourd’hui est celui de l’interprétation, de l’herméneutique, c’est-à-dire le problème du sens de l’Écriture pour l’homme d’aujourd’hui » (ibid.). – par différence avec les siècles passés. C’est à ses yeux toute l’avancée de la constitution conciliaire Dei Verbum.

Étant supposée la possibilité d’un «sens», on doit poser trois questions: le texte «fait-il sens» par lui-même? est-ce l’auteur qui le crée? Ou bien est-ce le lecteur qui lui «donne du sens», selon son intentionnalité subjective dans le contexte socio-historique, inscrit lui-même dans une dynamique évolutive de l’Histoire?

C’est la seconde approche qui s’avère traditionnelle: la lettre d’un texte, son sens littéral, explique saint Thomas d’Aquin, huit cents ans après saint Augustin, n’est pas le pied de la lettre ni ce que chacun tire du texte; c’est ce que l’auteur a voulu dire: «quod auctor intendit » (Somme théologique, Ia Q1 a 10; voir Pie XII, encadré 1).

Autrement dit, une phrase ou un texte inspiré n’est pas un objet autonome dont le sens se dégage de lui-même, indépendamment de son contexte et de son auteur. Ce n’est pas non plus au lecteur de lui donner un sens selon le dynamisme existentiel du ressenti de sa foi vécue. C’est l’intention de l’auteur qui détermine le sens littéral, premièrement inspiré. Il ne suffit pas de dire que l’auteur est le Saint-Esprit qui parle au cœur des croyants en les inspirant lorsqu’ils lisent la Bible. L’Esprit demeure, certes, l’auteur principal, mais il passe par la médiation de l’écrivain inspiré qui demeure auteur à part entière, au titre d’instrument de Dieu. C’est pourquoi l’exégète doit s’appliquer à approcher par toutes les ressources des sciences humaines, ce que l’auteur a historiquement voulu transmettre par les mots qu’il emploie.


Le Principe
Pie XII et le sens de l’Écriture

«L’exégète doit donc s’efforcer, avec le plus grand soin, sans rien négliger des lumières fournies par les recherches récentes, de discerner quel fut le caractère particulier de l’écrivain sacré et ses conditions de vie, l’époque à laquelle il a vécu, les sources écrites ou orales qu’il a employées, enfin sa manière d’écrire.Ainsi pourra-t-il bien mieux connaître qui a été l’hagiographe et ce qu’il a voulu écrire en écrivant. Il n’échappe à personne, en effet, que la loi suprême de l’interprétation est de reconnaître et de définir ce que l’écrivain a voulu dire, comme nous en avertit admirablement saint Athanase: “Ici, ainsi qu’il convient de faire dans tous les autres passages de la Sainte Écriture, il faut observer à quelle occasion l’Apôtre a parlé, remarquer avec soin et impartialité à qui et pourquoi il a écrit, de peur qu’en ignorant ces circonstances ou en les comprenant autrement, on ne s’écarte du véritable sens.” (Contra Arianos, I, 54; P.G. XXXVI, col. 123). » (Cf. Encyclique Divino afflante n°34)


À propos d’herméneutique
quand le texte fait le sens

La théorie de Paul Ricœur, dont se réclame Geffré (Avec ou sans Dieu, p. 40) est une «phénoménologie herméneutique», discipline selon lui nécessaire pour la «compréhension» de l’Évangile au XXIe siècle. Le problème à résoudre est celui du sens objectif d’un texte. «La phénoménologie, explique Ricœur, […] s’est repliée sur une sorte de subjectivation abusive, remettant en quelque façon l’intentionnel dans la conscience [du lecteur]; tandis que je voudrais montrer que la possibilité d’objectiver est comprise dans la relation intentionnelle, dans la mise en commun du sens à plusieurs» (J.-P.Changeux et P. Ricœur,Ce qui nous fait penser: la nature et la Règle, Odile Jacob, 2000, p. 135).

Dans un chapitre «Du texte à l’action» de son Essai d’herméneutique II, Seuil, 1986, Ricœur absolutise l’autonomie du texte par rapport à l’intention de son auteur, ce qu’il nomme «distanciation». Pour lui, «l’objectivité du texte médiatise la subjectivité de l’auteur et celle du lecteur.» L’herméneutique comprend deux étapes. Lire, c’est d’abord expliquer le texte, puis se l’approprier pour enfin l’interpréter. L’explication du texte, par la dissection de sa structure interne, révèle son autonomie. Alors ce texte, ainsi distancié de son auteur, «commence, grâce au lecteur, à s’ouvrir à sa référence, donc à la “chose du texte”»: c’est l’appropriation. Par ce travail herméneutique, il s’agit de «détacher le sens de sa visée » intentionnelle, voulue par l’auteur. Bref, le sens littéral n’existe plus. Grâce à la distanciation, il n’y a plus à se demander ce qu’a voulu dire Ricœur. La question n’a plus de sens.

 

 

Objections - 12 rue Saint-Joseph - 75002 Paris - 01.40.26.41.78

contact

Reprise des textes autorisée, aux conditions suivantes: En donner les coordonnées complètes (titre de la revue, de l'article, auteur et date). En cas de reprise sous forme électronique, placer un lien actif vers le site de la revue Objections - http://revue.objections.free.fr | Directeur de la publication: Guillaume de Tanoüarn | Edité par: Association pour la Diffusion de la Culture Chrétienne (A.D.C.C.) 22, rue Frémicourt - 75015 Paris | Numéro de commission paritaire: 0308 G 87723