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Les “Dhimmis” de la République
Louis Kolle
Objections - n°4 - mars 2006

Les caricatures du journal danois Jyllands-Posten ont eu en France plus d’impacts qu’on ne se l’imagine. Si l’on crie dorénavant au “fanatisme”, à la “régression”, ce n’est pas en visant l’islamisme mais pour rappeler avec plus de vigueur qu’une autre bataille a toujours lieu en ce moment même: la lutte contre l’Église, sa volonté de reprendre sa supposée emprise tentaculaire sur les esprits et la société. Et ce, un siècle après la loi de 1905 consacrant la laïcité ! Voilà l’autre guerre de civilisation, celle dont on ne parle pas…

Le journal Marianne, dans un grand élan de réveil des consciences, titrait “La Grande Régression”, en évoquant les événements récents à la manière d’une catastrophe naturelle. Numéro tragicomique qui mêlait un article de Martine Gozlan – journaliste spécialisée dans l’étude de l’islamisme – avec des photos représentant la messe de Noël 2005 à Saint-Nicolas du Chardonnet et une photo de saint Pie X, afin de mieux marquer les esprits. Comme l’on sait que l’impact visuel est plus important que le texte pour une grande partie des lecteurs, on peut se poser la question de l’honnêteté intellectuelle qui préside à ce choix, d’autant plus que deux pages avant, une autre photo montrait la fête de l’Assomption encore à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Dans le même esprit, Pierre Jourde, auteur par ailleurs d’un travail salutaire sur l’état de la production littéraire en France, La Littérature sans estomac, nous gratifie d’un billet d’humeur dans le Nouvel Observateur du 9 février 2006 intitulé “La pédagogie par le blasphème”. En résumé, les musulmans doivent apprendre la raillerie sur leur propre religion puisque les chrétiens en ont eu encore plus! Et qu’à force, ils sont rentrés dans le rang. Enfin la lecture d’un petit livre de Caroline Fourest – sorti juste avant l’affaire des caricatures (décembre 2005) – sur La Tentation obscurantiste, nous montre, là aussi, les bienfaits qu’a pu avoir la lutte contre l’Église en ce qui concerne les minorités, qu’elles soient sexuelles ou autres.

Ce glissement entre une réalité tangible – que faire avec une religion qui est aujourd’hui la deuxième de France – et un monde fantasmé, est révélateur de plusieurs faits.

La légende noire est toujours là

Tout d’abord, un siècle après la loi de séparation de l’Église et l’État, le petit monde intellectuel français croit toujours voir dans l’Église un monstre omnipotent. Comme nous sommes dans le monde virtuel de la pensée, les clichés ont la vie dure. Ainsi, toujours dans Marianne, Max Gallo nous rappelle avec véhémence le sort du chevalier de la Barre, thème repris dans une tribune de Libération par Jean-Paul Lévy qui s’inquiète que « la religion s’échappe ainsi de la sphère privée qui est la sienne et s’empare à nouveau de la vie publique, dans l’espoir d’une théocratie retrouvée », Jean-François Kahn nous parle de l’« ignominie des croisades ». Ne manquait à l’appel que l’évocation de Joseph Bara, le petit tambour républicain, mis à mort par les Vendéens pour avoir refusé de crier: « Vive le roi! »

Ensuite, comme dans leur mode de pensée, l’homme, fondamentalement bon – rappelons-le – peut être perverti par la société dans laquelle il évolue, il convient de trier le bon grain de l’ivraie. Au lieu d’unir ces forces et de proposer des pistes de réflexion, voire des solutions face au problème crucial de la place de l’Islam en Occident, ce petit monde se livre à des guerres picrocholines entre les diverses factions qui le composent. À l’invective “Islamophobe” répond celle d’“Islamogauchistes”. Les uns et les autres se vouent réciproquement aux gémonies en se traitant d’« idiots utiles » à une cause qui, de toute façon, les dépasse largement et qui prend racine dans le conflit israélo-palestinien. De “guerre de religion”, on a glissé à “querelle de chapelles”. Un détour par le site du Réseau Voltaire et les articles de Thierry Messian, grand maître ès-complot, est édifiant. Les attaques sur les journalistes qui sont soupçonnés d’avoir dévié sont éloquentes, notamment ceux qui travaillent chez Charlie Hebdo. De part et d’autre, les réponses fusent, les comités, associations se mobilisent: ProChoix, Blédardes, Sciences-Potiches, MIB, MRAP, Ni putes ni soumises. Un véritable inventaire à la Prévert. Tous rappellent les durs combats d’“avant”, qui couvent encore: celui contre les “rouge-bruns”, celui contre la lepénisation des esprits, celui contre le révisionnisme. En un mot, tout ce qui ne pense pas comme eux, tout ce qui peut avoir une connotation droitière dans le sens très large du terme et, par extension, ou par essence, tout ce qui touche à la religion catholique et à l’Église.

Cette gauche qui se trompe de siècle

Englué dans un mode de pensée figé, truffé de clichés, surfant à mots couverts sur le thème du complot “jésuite”, n’ayant que pour seul modèle la lutte pour la laïcité des pères fondateurs du socialisme, l’irruption de la notion de blasphème à propos des caricatures visant l’Islam a pris de court le petit monde intellectuel. Rendant inopérant leur laïus sur la félicité que procure la Laïcité, ils se sentent déboussolés malgré leurs cris d’orfraie. Leur principale riposte: reprendre les mêmes armes qu’il y a un siècle lors du débat sur la loi de 1905. Leur seul référent: la lutte contre l’Église. Leur seule cible véritable: l’Église. Cible d’autant plus facile qu’elle n’est pas mouvante et que, malheureusement, elle a l’habitude selon eux d’être attaquée et de ne pas se défendre. Même si la plupart d’entre eux clament haut et fort leur respect des croyances, notamment chrétiennes, le confinement du religieux à la sphère strictement privée qu’ils appellent de leurs vœux s’apparente surtout à de l’intolérance.

L’Islam lui-aussi tolérait les croyants des autres religions du Livre en leur donnant un statut spécial: celui de “dhimmi”, ce non-musulman qui demande contre impôt la protection de la communauté des croyants et de ce fait est soumis à de multiples humiliations. Puissions-nous, nous autres catholiques, ne pas devenir, à notre tour, les “dhimmis” de la République française!

 

 

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