Religions
partielles, religions dangereuses, religion vraie
Romain
Bénédicte
Objections - n°4 - mars 2006
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«Toutes
les religions se valent ». La pensée correcte d’aujourd’hui a repris ce
vieux slogan en lui donnant un sens essentiellement négatif : toutes les
religions se valent parce qu’elles sont essentiellement violentes. Exclusives,
fanatiques, criminogènes… D’où vient la violence religieuse en réalité ?
Romain Bénédicte propose ici
une autre hypothèse.
Peu
de temps après l’affaire des caricatures de Mahomet, l’hebdomadaire
Marianne a consacré un numéro au danger des religions, présentées, sans
distinctions aucune, comme criminogènes. L’amalgame
se dessine lentement, mais sûrement : toutes les religions se valent… dans le
pire. C’est une sorte de syncrétisme à l’envers. Dans cette perspective,
les vrais martyrs sont ceux du fanatisme religieux : ils
sont forcément athées.
Cette
désinformation en marche repose sur un syllogisme assez simple : «
les islamistes sont violents. Or l’islam est une religion. Donc les religions
sont violentes ».
Le
sophisme est criant. Sa conclusion d’ordre universel (les religions) découle
d’une argumentation bâtie à partir de prémisses et d’un moyen terme
particuliers. C’est comme si on affirmait que tous les conducteurs sont des
alcooliques sous prétexte que certains ont été arrêtés en état d’ébriété.
L’une
des causes de l’amalgame se trouve dans la présentation des religions
monothéistes (christianisme, judaïsme et islam) comme des religions du Livre.
Ce
nouveau concept de “religion du Livre” est une violence faite à la
vérité. Le christianisme est
la religion de l’Incarnation, c’est-à-dire la religion de l’adhésion à
la personne de Dieu qui s’est fait homme. Il n’est pas la religion d’un
livre. La Bible, elle-même, est considérée dans le christianisme comme
dépendante de la Tradition et de l’enseignement constant du Magistère qui en
fixe le canon et qui l’interprète de manière authentique.
Il
faut cependant aller plus loin. Il y a une spécificité du christianisme, et
plus exactement du catholicisme, que l’on ne retrouve dans aucune autre
religion. Le christianisme contient tout – à l’exception de l’erreur –,
mais tout est à sa place. La soumission des musulmans à Dieu ? Elle existe
dans le christianisme. Leur capacité de prière? Elle est une réalité du
christianisme qui demande, en plus, que la parole des lèvres corresponde à
celle du cœur.
En
revanche, l’islam et le protestantisme ont un curieux point commun: ce sont
des religions qui excluent d’autres religions. De
même que l’islam comporte, en son enseignement le plus constant, une critique
de la foi en la Trinité, de même que le Coran associe les chrétiens aux
païens, en leur reprochant leur “polythéisme” au motif qu’ils
adoreraient trois Dieux, le Père le Fils et le Saint-Esprit, de même la
religion dite réformée s’est construite par et dans son opposition aux
dogmes de la foi catholique et aux pratiques cultuelles des chrétiens fidèles
à Rome. Encore aujourd’hui, dans bon nombre de sectes protestantes, on est
bien obligé de constater que l’opposition à la foi catholique ne constitue
pas un simple “à côté” dans le système des croyances propres à ces
zélateurs. Leur opposition au catholicisme est constitutive de leur démarche
religieuse. Le protestantisme le
plus ordinaire repose sur un certain nombre d’exclusives anticatholiques : sola
fides (la foi seule, pas les œuvres) ; sola gratia (la grâce seule
pas la liberté humaine qui est réputée “serve”) ; sola scriptura (l’Ecriture
seule et surtout pas la Tradition qui la porte).
Contrairement
à l’islam ou aux sectes protestantes, le catholicisme, lui, assume tout ce
qui est vrai, bien ou bon parce qu’il est fondé sur la compositio
oppositorum, le paradoxe de l’union des contraires que Dieu seul pouvait
proposer. Ce paradoxe se résume par la loi du « et-et » : Dieu est Un et
Trois ; Le Christ est vrai Dieu et vrai homme ; l’homme est composé d’une
âme et d’un corps ; La Vierge Marie est vierge et mère ; le salut s’obtient
par la foi et les œuvres, etc.
Cette
loi, qui assume tout le réel, loin d’un pragmatisme atrophiant ou d’un
idéalisme éthéré, explique que l’Église est tour à tour accusée d’encourager
la faiblesse ou d’être par trop violente. En vérité, elle n’encourage pas
plus la faiblesse que la violence. Elle
commande de tendre l’autre joue en ce qui nous concerne personnellement et de
sauver le prochain, si besoin est par les armes. C’est le même commandement
de la charité qui se trouve au fondement de ces deux attitudes, apparemment
contradictoires. C’est au nom de ce même commandement de la charité que l’Église
encourage la virginité et les familles nombreuses.
Chesterton
a résumé dans Orthodoxie la véritable particularité de l’Église.
La citation est connue, mais elle mérite d’être rappelée avec justesse et
dans son intégralité : « Quand un certain ordre religieux est ébranlé – comme
le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se
trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure
et ils font des ravages. Mais
les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et
elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des
vieilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles
pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en
sa solitude ».
Le
drame du monde moderne consiste à juger l’Église en portant sur elle un
jugement partiel en lui reprochant de maintenir l’unité de l’ensemble à
travers les siècles. Ce n’est pas l’hommage du vice à la vertu, mais de la
folie à la bonne santé.
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