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Un Édit de Tolérance
Abbé Christophe Héry
Objections - n°4 - mars 2006

L’Édit de Nantes mit fin en 1598 aux « guerres de religion ». Il montre la clairvoyance politique d’Henri IV, d’inspiration chrétienne. Sa révocation en 1685 par Louis XIV s’inspire en revanche du nouveau principe de la raison d’État. Elle annonce paradoxalement les dérives de l’intolérance voltairienne

Selon les faits qui précèdent l’année 1598, l’Édit de Nantes est la conséquence de la victoire obtenue contre la Ligue par Henri IV, grâce à l’alliance du parti protestant, largement minoritaire mais doté d’une puissance militaire redoutable. L’Édit ne relève pas d’une tolérance philosophique qui égaliserait théoriquement toutes les religions, mais de la prise en compte d’une menace armée, à dessein de la circonscrire en vue du bien commun du pays; c’est aussi pour Henri IV la reconnaissance d’une dette envers ses anciens condisciples – «parce qu’ils sont loyaux sujets», précise le texte de l’Édit. Le roi est convaincant car il fait preuve d’une très grande autorité, bien au-dessus des partis.

Cet édit est le huitième en 35 ans. Il reprend le principe de l’Édit de Poitiers signé par Charles IX en 1577, sauf qu’il accorde aux huguenots des «places de sûreté» en plus grand nombre, entretenues par l’État. Il n’exige d’aucun parti la repentance, mais impose au contraire le devoir de pardon réciproque et accorde à tous l’amnistie.

Les «guerres de religion» masquent des enjeux de pouvoir politiques. Les haines sanglantes et les conjurations répétées visaient de part et d’autre, à la fin du XVIe siècle, à renverser le roi. La signature de l’Édit de Nantes, geste de pacification nécessaire et bienfaisant, s’inscrit dans la tradition capétienne de réalisme et de grandeur politique, en vue de sauvegarder la concorde autour de la couronne. Au plan religieux, il aura pour effet la conversion progressive et pacifique de nombreux protestants.

La révocation par Louis XIV: l’erreur de la raison d’Etat

Lorsqu’en 1685, Louis XIV révoque l’Édit de Nantes, les historiens Jean de Viguerie et François Bluche ont montré qu’il obéit à la logique de son temps: le mécanisme cartésien et le géométrisme égalitaire de Malebranche. Le principe de la religion réformée – un État, une religion – est passé dans les esprits catholiques. Alors qu’en 1629, les protestants de la Rochelle avaient outrepassé les droits de l’Édit pour, avec l’Angleterre, menacer la communauté nationale, en revanche, en 1685, ils ne constituent plus depuis longtemps un danger politique et se sont convertis en grande partie.

Pourtant il faut “plier la machine” et faire entrer tous les esprits en religion comme dans un jardin à la française. Louis XIV suit la pente de la nouvelle philosophie politique d’où naît l’Etat baroque, certes fort, mais omniprésent et centralisateur, qui annonce le despotisme affiché des Lumières. Par son absolutisme, il préfigure les États jacobins et laïques. Le roi a dit : «Je ne veux qu’une seule religion en mon royaume»… Il lance les dragonnades. Celles-ci n’annoncent-elles pas les expulsions et les confiscations de 1905? La révocation procède ici d’un volontarisme qui décrète et centralise au nom de la raison d’État. C’est aussi une victoire du gallicanisme qui pousse le Roi Soleil à s’afficher en roi « très-chrétien» par un geste d’éclat. Pourtant, le pape Innocent XI, fidèle à la doctrine thomiste de la tolérance religieuse et du moindre mal, en désavouera la cause.

«Mémoire» et intolérance voltairienne

Avec sa Henriade, Voltaire fabrique le premier l’image d’Épinal d’un Henri IV, pionnier de la tolérance philosophique. Mais cette tolérance des Lumières, tout de pluralisme vêtue, fait office de vérité unique et exclusive. Elle s’accommode fort bien du racisme, de l’antisémitisme, de l’esclavage et de la traite des noirs, de laquelle Voltaire lui-même tirait (à Nantes, ville de l’Édit) des bénéfices. De « condescendance qui fait supporter ce qu’on blâme », en vue d’un bien supérieur, (Dictionnaire Restaud - 1785), la tolérance devient une arme sémantique dirigée contre les catholiques et contre l’Infâme (traduire: l’Eglise).

Ghislain Waterlot, dans une étude intitulée : «Voltaire ou le fanatisme de la tolérance», Esprit, Août-sept. 1996, l’a formellement démontré: le combat des Lumières pour la tolérance visait non à maintenir la concorde, mais à substituer l’opinion religieuse aux certitudes de la foi. Le patriarche de Ferney a créé le concept laïque de “tolérance” aux fins d’établir un libre marché (le haut-lieu de sa tolérance est «la Bourse d’Amsterdam, de Londres, ou de Surate, ou de Bassora», Dictionnaire philosophique), mais surtout d’exclure «le vieux des sept collines » (le pape), de ridiculiser son «fanatisme» et sa «superstition », bref, de diaboliser les catholiques pour leur continuel crime d’intolérance religieuse. Envers eux, pas de tolérance: «Il faut que les hommes commencent par n’être pas fanatiques (comprenez: catholiques) pour mériter la tolérance», écrit-il dans son Dictionnaire philosophique. Le fanatisme n’est pas du côté que l’on croit. On est loin de la clémence simplement réaliste d’Henri IV.

Henri IV n’exige nulle repentance et déclare l’amnistie. Pour ramener la concorde, il impose non le devoir de mémoire, synonyme de vindicte, mais celui de l’oubli: «Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre […] demeurera éteinte et non avenue».

 

 

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