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Les
«Guerres de religion» , mythe et réalité
Claire Ysabeau
Objections - n°4 - mars 2006 |
La
thèse « officielle» de l’historiographie est que, durant les Guerres de
religion, les protestants furent placés en position de légitime défense. Le
sang versé – car il y en eut des flots – est imputé à «l’intolérance»
et au «fanatisme », qui se seraient implantés de façon quasi spontanée dans
le cœur des catholiques plutôt que dans celui des réformés. Mais la
réalité, symbolique ou politique, n’est pas si simple…
Dès
1581, un historien tenant le parti des réformés, Henri Lancelot du Voisin de
La Popelinière, publiait à La Rochelle une Histoire des troubles et guerres
civiles en France pour le fait de la religion depuis 1555 jusqu’en 1581. L’expression
«pour le fait de la religion» marquait aussi nettement la conscience,
contemporaine des événements, d’un lien de causalité immédiate entre les
guerres civiles et les tensions proprement doctrinales engendrées par la
prédication de Luther et de ses émules, en France, de Calvin.
Que
penser des thèses officielles concernant les “Guerres de religion” ? Dans
son dernier ouvrage, Les ligueurs de l’exil, M. Robert Descimon n’hésite
pas à renvoyer aux «mythes de notre monde contemporain », parmi lesquels
trône « le développement de la légende d’Henri IV, un des seuls parmi les
héros nationaux français à ne pas avoir connu une
dévaluation radicale». Il souligne un glissement, intervenu dans le dernier
quart du XXe siècle,
d’une «histoire dominante des conflits religieux du XVIe
siècle […] écrite du point
de vue des huguenots et des politiques », c’est-à-dire des partisans de l’État
sécularisé, à une histoire désormais «placée sous le signe de l’œcuménisme
». Il est utile de prendre une distance critique à l’égard de ces enjeux
historiographiques.
C’est
à Wassy en 1562 que l’on situe ordinairement l’origine des troubles civils.
En réalité, ce qui se passa dans cette grange ne fut pas un coup de tonnerre
dans un ciel serein. Henri
Lancelot, ce contemporain que nous venons de citer, situe, lui, l’origine des
troubles en 1555. Peu importe! Le fait est que Wassy s’inscrit dans une série
de confrontations dont les protestants ont, sans conteste, pris l’initiative. A
l’exemple de ce qui se produisait dans les pays environnants, les
principautés allemandes et l’Angleterre notamment, les réformés ont adopté
deux stratégies successives fort déterminées.
La
conscience du Roi
La
première stratégie consistait à gagner le pouvoir de l’intérieur en
agissant directement sur la conscience du roi pour le convaincre de se convertir
aux théories nouvelles. Tant
que François Ier parut,
sous l’influence de sa sœur, Marguerite d’Angoulême, enclin à écouter
ceux qu’il pensait « habiles gens », les réformés crurent le but à
portée de leurs ambitions. Pourtant,
dès 1529, les premières violences, pour symboliques qu’elles se soient
voulues dans leur principe – puisqu’elles
atteignaient les images et les statues de la Vierge et des saints en une
flambée iconoclaste aujourd’hui bien connue – mirent le feu
dans les esprits avant d’être la cause principale de l’embrasement des
bûchers. Ainsi,
la nuit de la Pentecôte 1529, des réformés abattirent la tête d’une figure
de la Vierge nichée au mur d’une maison faisant l’angle de la rue des
Rosiers et de la rue des Juifs ; ils poignardèrent son vêtement, souillèrent
son couvre-chef, brisèrent aussi la tête de l’Enfant et jetèrent les restes
derrière des pierres. La
vague iconoclaste, découlant de la théologie protestante, sévit partout, à
Paris et en province. On comprend pourquoi François Ier
laissa le parlement de Paris
ouvrir les informations et poursuites contre de tels faits. Une nuit, on vint
placarder jusque sur la porte de la chambre du roi des affiches ridiculisant l’eucharistie,
le Saint-Père et la Vierge Marie. C’est la provocation célèbre des
«placards» en
octobre 1534, Elle prouve assez que les protestants espéraient encore enrôler
le roi. La dédicace à François Ier
de son Institution chrétienne
par Calvin va dans le même sens. Il s’agit de hisser le roi en souverain
absolu au-dessus des lois de Dieu et de l’Église, dans une vaste entreprise
de conversion nationale. Si
les français refusèrent leur participation au concile de Trente, ce fut pour
mieux affirmer le rôle prétendument exclusif du pouvoir civil dans la réforme
de l’Église. Il faut avouer d’ailleurs que c’est justement aux autorités
judiciaires, et non ecclésiastiques, qu’il faut imputer la responsabilité d’avoir
engagé le roi dans une politique de répression, en fait assez intermittente,
contre les protestants.
Une
guerre de princes
La
deuxième stratégie, résultant de l’échec de la première, consistait à
prendre le pouvoir de l’extérieur, car la cohabitation ne semblait pas
davantage possible aux réformés qu’aux catholiques. Or, dès la fin du
règne de François Ier et
dans les années 1555-1560 surtout, au moment par exemple de la conjuration d’Amboise
– lorsqu’au nom des réformés, le prince de Condé tente sans succès de
neutraliser les Guises, considérés comme les mentors du jeune roi François II
- il était devenu évident que le roi de France ne se convertirait pas et n’abandonnerait
pas le catholicisme. Le
rôle des princes et des grands protestants est alors devenu décisif : à
défaut d’une loi royale, générale, qui aurait aboli la messe et satisfait
pour le reste à la doctrine protestante en forçant le peuple à l’apostasie,
ils entreprirent de supprimer le culte catholique localement, en détail. La
structure encore fort originale d’un État né de la féodalité favorisa
leurs intentions. En Bretagne, en Poitou, en Languedoc, en Béarn, par exemple,
les seigneurs gagnés aux idées nouvelles, appelèrent dans leurs villes des
prédicants, leur firent ouvrir – de force – les
églises. Par un coup de force, le frère de Coligny, d’Andelot, imposa, en
1558, la prédication protestante au Croisic et au bourg de Batz, à des
assemblées de fidèles disposés pourtant à entendre la messe, mais
terrifiées par le déploiement de la force seigneuriale. La question
essentielle réside alors dans le choix des seigneurs et des grands: les clans d’influence
contraire s’organisent, à partir du milieu du siècle, en fonction des
positions religieuses. Outre
une sincérité de conscience qui échappe évidemment au jugement de l’historien,
il faut envisager sérieusement les raisons sociales et politiques qui
incitèrent des princes – les
Bourbons, rois de Navarre,
par exemple, ou les Rohan – à soutenir, contre le roi, une doctrine
religieuse : celle-ci leur rendait de facto un pouvoir au moins régional qui
échappait à la féodalité mourante depuis que les rois avaient renforcé leur
autorité. À partir du moment où des seigneurs armaient leurs partisans, qu’ils
fussent protestants ou catholiques ne changeait rien à l’inéluctabilité de
la guerre civile.
De
la guerre de religion à la guerre civile
C’est
ce qui fait le caractère inextricable des guerres de religion parce que toutes
les intrigues, et des plus compliquées et fumeuses, se nouèrent autour d’un
enjeu désormais capital : c’était
le contrôle d’un pouvoir, au demeurant affaibli, par sa jeunesse, par son
inexpérience, et par ses hésitations. La difficulté majeure pour l’autorité
était de traiter d’une question religieuse, en chrétiens, alors que les
enjeux politiques multipliaient les pièges. L’horreur
de la Saint-Bathélemy, le 24 août 1572, ne s’explique que dans cette
perspective. A la prise de contrôle de la royauté, envisagée par Condé au
profit des Bourbon dès 1560, succéda la tentative de sécession du royaume en
plusieurs États dont l’unité religieuse serait imposée par le choix du
prince. Le modèle allemand était évidemment dans l’esprit de tous. Devant
un tel risque, les partisans de l’unité historique du royaume, unité
mystique aussi dans la conception dominante, tendirent à subordonner le
spirituel à un salut temporel au profit d’un roi, héritier de droit
coutumier, et catholique, non de conviction mais de «droit divin». En signant
l’édit de Nantes, le 13 avril 1598, Henri IV traitait la question en
politique, non en converti.
Le
souvenir de ces événements de la deuxième moitié du XVIe
siècle resta terriblement
douloureux tout au long du XVIIe siècle
et la crainte de nouvelles flambées de violences armées persista, au moins,
jusqu’à l’édit d’Alès en 1629. Aussi attribuait-on généralement à
Louis XIII, non à Henri IV, le mérite d’avoir éteint les guerres de
religion : le jour de la majorité de Louis XIV, en 1651, le chancelier Séguier
honorait Louis XIII d’avoir « affranchi [...] son
royaume du monstre de la rébellion que la différence de religion avait fait
naître ». La guerre civile était réduite ici à sa dimension politique : la
révolte contre le roi, et, si la cause religieuse subsistait, la « différence
de religion », l’auteur laissait néanmoins penser qu’elle pouvait être
surmontée par la seule union politique restaurée autour de la reconnaissance
enfin unanime de la même autorité civile. En
révoquant l’édit de Nantes, en 1685, Louis XIV rompit un pacte politique : l’unité
de foi mise au service du seul roi, en ameublissant le ciment de l’État
royal, allait devenir la « cause religieuse » (Dale van Kley) d’une
Révolution d’où devait triompher le libéralisme issu de la pensée
protestante.
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