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La société pédophile
Laurent Lineuil
Objections - n°4 - mars 2006

Une dizaine de personnes condamnées “par erreur” pour pédophilie. L’affaire d’Outreau permet de remettre sur la table les sempiternels “dysfonctionnements de la Justice”. On a fait du juge d’instruction, sommé de s’expliquer devant la France entière le bouc émissaire responsable, coupable et pendable et on a chargé la Justice française de tous les péchés d’Israël. Mais ce jeune homme un peu court et un peu trop droit dans ses bottes qu’est le juge Burgos n’a-t-il pas surtout servi d’alibi ?

Entendu le 9 février par la commission d’enquête parlementaire planchant sur la débâcle judiciaire d’Outreau, Gérard Lesigne, procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, a eu cette explication: l’emballement de la machine judiciaire, prenant les rumeurs les plus démentes comme des vérités avérées, aurait sa source dans «le mythe de la pédophilie». L’expression a choqué, en ce sens qu’elle semblait nier la réalité d’une multiplication, ces dernières années, des affaires de pédophilie. Multiplication bien réelle, qui ne doit rien aux fantasmes, de même que le fameux “sentiment d’insécurité” qui avait contribué à propulser Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, n’était pas une invention des médias greffée sur une situation somme toute tranquille comme le prétendirent les bien-pensants, mais l’écho d’une réalité que les récentes émeutes des banlieues, notamment, ont confirmé avec éclat.

Il y a mythe et mythe

Si l’on prend le mot “mythe” au sens courant d’affabulation, alors le diagnostic du procureur Lesigne est en effet choquant. Mais si on songe au sens que lui a donné dans son œuvre René Girard, pour qui il est le récit déformé d’un événement authentique, alors Lesigne peut être un bon indicateur. Car il est vrai que la pédophilie, qui apparaît comme l’ultime tabou dans une société qui a bazardé méticuleusement tous les interdits (déjà mis à mal par l’avortement, celui de l’infanticide vient d’en prendre un sacré coup avec l’affaire Humbert, du nom de cette mère exonérée par la justice après avoir mis la main à la mort de son fils tétraplégique), et notamment les tabous sexuels, fait désormais figure de Mal Absolu. Pas de perversion qui n’ait désormais droit de cité, pas de comportement aberrant qui ne vienne trouver son défenseur, aux heures de grande écoute, dans quelque émission de type C’est mon choix ou Ça se discute. Seule ou presque, la pédophilie reste marquée d’une négativité absolue. On ne peut évidemment que se réjouir d’une telle absence de complaisance – du moins en apparence – vis-àvis d’une telle monstruosité. Mais il n’en faut pas moins s’interroger sur les raisons de cette exception à la règle de l’universelle permissivité, et ce qu’elles révèlent.

Tout le monde n’est pas Gilles de Rais

D’autant que ce statut de Mal Absolu confère à cette réprobation un caractère obsessionnel qui nous a tous fait rentrer, nolens volens, dans l’ère du soupçon. Il est presque devenu impossible, aujourd’hui, d’engager la conversation dans un jardin public avec un enfant qui a suivi son ballon jusque dans vos pieds, sans se sentir vaguement gêné d’un commerce qui, mal interprété, pourrait vous faire suspecter des pires atrocités. Et si un enfant perdu se promène seul dans un hall de gare, nombreux sont ceux qui feront semblant de ne pas le voir pour ne pas pouvoir être soupçonnés de vouloir “profiter”, d’abominable manière, de la situation.

La recrudescence irréfutable des crimes pédophiles n’explique pas tout, ni même le caractère de dernier tabou de cette perversion. S’il y a véritablement aujourd’hui une obsession pédophile, qui fera imaginer à la machine judiciaire un vaste réseau international de notables là où il n’y avait que quelques Gilles de Rais de HLM et une écrasante majorité de prolétaires innocents, c’est que la société dans laquelle nous vivons a une bonne raison d’en être obsédée: c’est qu’elle est elle-même pédophile.

Une société schizophrène

Quand tant de mères de familles habillent, dès neuf ans, leurs fillettes en pétasse de la Star Ac’, jeans moulants, nombril à l’air et permanente de chanteuse de R&B, et qu’à quinze ans, bien des jeunes filles ont l’air de trouver déshonorant, encouragées au moins passivement par leurs parents, de ne pas ressembler à une vamp lascive tout droit sortie d’un clip de MTV; quand les devantures de kiosques sont emplies de magazines de mode qui affichent en couverture des mannequins ultrasexy dont certaines n’ont pas quinze ans; qu’on offre comme modèle aux fillettes des chanteuses adolescentes aussi vulgairement attifées que leurs aînées; quand le culte de la jeunesse pousse les quinquagénaires à se déguiser en bimbos adolescentes, de sorte que dans la rue il devient parfois difficile, à une certaine distance, de différencier la mère de la fille; quand des parents attendris applaudissent avec complaisance à l’affichage de plus en plus précoce de la vie sexuelle de leurs enfants immatures: comment nier que la société dans laquelle nous vivons éprouve pour l’enfance une fascination trouble qui ne doit rien à la nostalgie de la pureté, mais ressemble bien plus sûrement à une pédophilie qui ne dit pas son nom?

Mais cette pédophilie généralisée, il ne faut évidemment à aucun prix l’avouer. Il faudra donc l’expulser, pour continuer à utiliser le vocabulaire girardien, suivant la bonne vieille tactique du bouc émissaire. Que ce bouc émissaire soit parfois réellement coupable, et parfois aussi innocent, cela n’a pas de réelle importance (sauf évidemment pour les malheureuses petites victimes, suppliciées sur l’autel de cette hypocrisie sociale). L’essentiel est que l’attention ait été détournée de la société pédophile, une société schizophrène qui veut continuer à jouer à la poupée avec les petites filles en toute bonne conscience, et pouvoir s’ingénier à transformer ses enfants en chair fraîche à disposition de la barbarie pédophile tout en hurlant au loup contre ceux qui ont eu la criminelle et monstrueuse imbécillité de prendre au sérieux les couvertures des magazines.

 

 

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