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Mahomet
et nous
Editorial,
par Laurent Lineuil
Objections - n°4 - mars 2006
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L’affaire des
caricatures de Mahomet n’en finit pas de porter ses fruits délétères. Si
elle aura ouvert les yeux d’un certain nombre d’Occidentaux sur la nature
profondément intolérante de l’Islam – et pas seulement, n’en déplaise
aux angélistes, de l’islamisme –, elle aura aussi servi de révélateur de
la confusion mentale qui règne dans les vieilles nations chrétiennes qui, ne
sachant plus qui elles sont, sont bien en peine de savoir quoi répondre à qui
les attaque. Pour l’instant, le sentiment qui semble l’avoir emporté est
que la tradition d’irrévérence universelle dont nos modernes sont si fiers
et qui ne souciait plus depuis longtemps de choquer qui que ce soit s’arrête
là où commence la susceptibilité des mahométans.
Le 24 février encore, le
rédacteur en chef d’un petit magazine finlandais, Kaltio, a été
licencié pour avoir publié sur son site Internet une bande dessinée mettant
en scène Mahomet dialoguant avec un dessinateur sur la question de la
tolérance. Rien d’offensant pour les musulmans, semble-t-il, dans ces
dessins, mais la simple représentation du “prophète” a paru suffisante aux
propriétaires de Kaltio pour exiger le limogeage du responsable.
Le 29 janvier, à Kirkouk,
en Irak, l’attaque de deux églises catholiques en “protestation” contre
les caricatures avait fait plusieurs morts, dont un enfant de chœur de 13 ans.
Le 3 mars, l’évêque de Kirkouk nous a appris que ses fidèles se cotisent
pour reconstruire une mosquée chiite récemment détruite. (On ne sache pas qu’en
terre d’Islam, des musulmans aient jamais financé l’édification d’une
église chrétienne. Pendant ce temps,
40% de leurs coreligionnaires britanniques se disent partisans de l’instauration
de la charia là où ils vivent.) Où s’arrête la bonne volonté, où
commence la faiblesse? Peut-on
raisonnablement espérer gagner ainsi le respect d’une religion où cette
notion, loin d’avoir le sens qu’elle a en Occident, se confond avec le droit
du plus fort ? Tout en condamnant
fermement les violences censées répondre aux caricatures, le Vatican lui-même
a profité de l’affaire pour essayer de promouvoir une sorte de droit des
religions à ne pas être offensées. Au risque de paraître cautionner l’idée
déjà trop répandue en Occident selon laquelle toutes les religions se valent,
ont une même dignité, et qu’injurier le Christ et caricaturer Mahomet sont
choses équivalentes… Brouillant son message sur le fait que cette crise
soulignait la différence radicale entre le christianisme, qui refuse l’engrenage
de la haine et de la violence, et l’Islam, qui s’en nourrit, Rome a semblé
se mettre à la remorque des musulmans en les chargeant d’obtenir pour les
religions un respect que le christianisme a de longtemps renoncé à exiger pour
lui-même.
En essayant de mettre
tout le monde d’accord sur une réprobation commune du “droit au blasphème”,
on accrédite la confusion entre le blasphème et la critique – distinction
qui n’est d’ailleurs guère reconnue par l’Islam, qui tend en ce qui la
concerne à identifier les deux ; et les différentes manipulations organisées
par les musulmans installés en Europe pour faire monter la sauce de cette
affaire n’ont-elles pas pour but de neutraliser une critique occidentale de l’Islam
qui devenait de moins en moins indulgente? En refusant de reconnaître les
racines chrétiennes de l’Europe, on se condamne à une fausse équivalence
entre la religion qui nous a constitués et nous a libérés, et celle qui tend
à nous asservir. En confondant l’idéal nécessaire de respect de l’autre
avec l’impossibilité de le mettre en face de ses erreurs et de ses fautes,
nous contribuerions au mensonge d’un Islam idéal sans rapport avec les
menaces qu’il fait peser sur notre liberté – et, plus grave encore, nous
nous interdirions de prêcher la Vérité.
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