| |
L'amour
de Benoît XVI
Abbé G. de Tanoüarn
Objections - n°3 - février 2006
|
La
première encyclique du pape Benoît XVI porte sur l'amour. C'est aussi la
première de toutes les encycliques des papes à offrir une réflexion
théologique complète sur ce sujet.
Pourquoi
l'amour? Il s'agit certainement d'un aspect important du pontificat, définir
une atmosphère: «L'Église, en tant que communauté, doit pratiquer l'amour»
(n°20).Ah! Si les évêques français tenaient aussi ce langage, l'Église ne
serait pas si bas ! L'essentiel du «beau témoignage» serait donné, tant il
est vrai que la charité authentique nous introduit toujours à la vérité tout
entière: «Tu vois la Trinité quand tu vois la charité » écrivait saint
Augustin, cité par le pape dans l'encyclique. Au fond, la charité, cet amour
qui provient de l'oubli de soi, creuse en chacun de nous, si elle est dominante,
le grand canal de l'évidence chrétienne.
Le
pape entend d'abord montrer ce qu'il appelle «l'unité de l'amour dans la
création et dans l'histoire du salut ». Dans ce souci d'unité, on retrouve
l'une des constantes de sa pensée. Ce n'est un secret pour personne que le
cardinal Ratzinger a largement inspiré l'encyclique de Jean Paul II Fides et
ratio. On y trouve une apologie (assez peu thomiste, il faut bien le dire)
de
l'unité de la foi et de la raison. La recherche rationnel mène au concept de religio
vera, explique le théologien Ratzinger dans son ouvrage Foi, vérité,
tolérance. Et ce concept se trouve en quelque sorte matérialisé dans la
démarche de foi. Ainsi se manifeste une continuité entre la foi et la raison,
à l'enseigne de ce que les Pères appelaient la Philosophia christiana.
Ce
qui se vérifie du rapport entre foi et raison se reproduit, d'après Benoît
XVI, dans le rapport entre l'eros et l'agapé, entre l'amour charnel - possessif
- et l'amour spirituel -
oblatif.
L'agapé devient «un moment» de l'eros (n°7), une phase dans l'histoire du
“remplissement”
(c'est-à-dire
de la matérialisation) de ce concept. Cette histoire du concept d'amour qui va
d'eros à agapé, elle se vérifie tout naturellement dans l'homme, chez qui l'eros
doit nécessairement faire la place au “moment” de l'agapé.Mais le plus
surprenant est que l'on retrouve cette trajectoire de l'eros à l'agapé
jusqu'en Dieu: «L'eros de Dieu pour l'homme est en même temps totalement
agapé» (n°9 et 10).
En
magnifiant ainsi l'unicité de l'amour, le pape entend répondre au philosophe
Friedrich Nietzsche, qui avait accusé le christianisme d'avoir «empoisonné l'eros»
au bénéfice d'une fantasmagorie spirituelle nommée agapé. Cette réponse à
Nietzsche est capitale pour les hommes de notre temps, englués dans un
matérialisme crasse et qui doivent pouvoir reconnaître l'étincelle de
l'esprit jusque dans les formes purement sensuelles de l'amour.
Néanmoins,
on peut se demander si ce schéma, si unilatéralement “unaire”, de l'amour
est toujours le plus juste. Il me semble que l'on pourrait aussi bien dire: il y
a trois amours.
Enumérons:
le désir, qui a pour seul but sa satisfaction, c'est-à-dire sa disparition en
tant que désir. L'amour de soi, ou concupiscence, qui a pour seul but le bien
privé et peut ainsi facilement s'assimiler au désir comme à une de ses
manifestations privilégiées (mais qui ne s'y réduit pas cependant). Enfin
l'amour de l'autre comme autre, l'amour d'un bien autre que soi, plus grand que
soi, «cet amour du Dieu qui est plus grand que notre cœur» comme dit saint
Jean. Celui-là seul figure la charité surnaturelle. Il a vocation à «
inclure toutes les formes de l'amour» (saint Thomas d'Aquin), mais il ne le
peut, sans imposer aux deux autres ce que j'appellerais, par goût de la
provocation, son leadership.
|