| |
Lire,
écouter, voir
Laurent Lineuil, Ch. Mahieu, Joël
Prieur
Objections
- n°3 - février 2006
|
Le
Nouveau Monde, de Terrence Malick - Laurent Lineuil
Un
fleuve de Virginie, en 1607, un bateau anglais qui glisse sur l’eau, sans
bruit, tandis que sur le rivage, des Indigènes l’observent, captivés par ce
spectacle inédit. Une voix de jeune fille qui s’élève, prononçant ces mots
en langue indienne : «Viens, Esprit, aide-nous à raconter l’histoire de
notre terre. » Ainsi commence le nouveau film de Terrence Malick, le quatrième
en plus de trente ans, avec ces images qui dégagent une fascination tranquille
et mystérieuse. Ici, il ne s’agira pas de battre sa coulpe sur les méfaits
de la colonisation, non plus que d’exalter les aventuriers qui partirent
domestiquer un monde inconnu. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est ce moment
indécis où pour la première fois le nouveau et l’ancien monde se touchent,
cet espace vierge où ceux qui espèrent recréer un univers sans vice et sans
injustice rencontrent ceux qui leur paraissent encore habiter le paradis sur
terre. De cette quête impossible de la pureté et de l’innocence, ne restera
que la figure de Pocahontas, jeune fille d’une liberté et d’une harmonie
stupéfiantes, car seul l’amour peut réinventer sans cesse le commencement du
monde. Avec ses images entêtantes, d’une limpidité irradiante, le génial
cinéaste de la Ligne rouge nous invite une nouvelle fois à contempler notre
monde avec un regard purifié, pour y voir le miroir d’une autre terre
promise.
L’icône
ou le regard du Ciel - Ch. Mahieu
Nous
les retrouvons partout dans notre quotidien. Dans nos églises et nos missels
bien sûr, mais aussi sur les couvertures des livres, les pochettes de disques
ou bien les affiches de concert… Pourtant qui connaît le sens réel des
icônes byzantines? Qui se souvient qu’en Orient, l’Empire romain s’est
maintenu plus de dix siècles après le sac de Rome par les troupes d’Alaric?…
Le livre de Tania Velmans, chercheur au CNRS, spécialiste incontestée du monde
religieux byzantin, nous offre un éclairage magistral sur un thème
malheureusement peu connu. À la croisée de plusieurs disciplines - l’Histoire
de l’Art bien sûr, l’histoire politique mais aussi la théologie et la
philosophie, cet ouvrage romancé nous invite à suivre les pas d’une
archéologue chargée de recenser les icônes de valeur dans plusieurs grands
monastères, tels que Sainte-Catherine au Mont Sinaï ou Rila en Bulgarie. Ce
cadre romanesque n’est évidemment qu’un prétexte pour nous ouvrir les
portes de la civilisation byzantine dont l’icône constitue l’expression
artistique la plus aboutie.
Inspirée
des modèles classiques de l’Antiquité et des anti-classiques de l’Orient,
l’icône est un trait d’union entre l’Orient et l’Occident. Parce qu’elle
doit incarner la Vérité, elle doit «éliminer tout détail anecdotique», d’où
son schéma linéaire et sa symétrie parfaite, symbole de perfection. Ainsi le
caractère particulier des personnages de l’art byzantin ne nous apparaît
plus comme un défaut mais bien comme le fruit d’une volonté, d’une
cohérence et d’une harmonie visant à exprimer la beauté: «(…) la beauté
n’est pas seulement pensée comme une valeur universelle, mais aussi comme le
signe d’un ordre supérieur. C’est bien pourquoi elle n’est pas non plus
une valeur autonome dans l’esprit des Byzantins, mais plutôt un attribut
divin, indissociable de la perfection morale. Dans les œuvres plastiques, elle
représente la face rendue visible de cette perfection.» D’où par exemple le
fond d’or vide qui a pour but d’abolir «l’épaisseur terrestre» et qui
«implique une négation du temps» tout en exprimant la lumière divine. On le
voit, l’art devient une valeur quasi sacrée et même métaphysique.
Naturellement, l’icône évolue à travers les âges. Si la «spiritualisation
des formes» atteint son apogée entre les Xe et XIIe siècles, elle cède
bientôt la place à des figures plus réalistes et moins abstraites s’inscrivant
dans un nouvel humanisme.
Un
livre précieux donc, d’autant qu’il nous permet de découvrir le parcours
du chercheur, patient, appliqué, à la quête de certitudes qu’il ne pose qu’après
de mûres réflexions. La fabuleuse histoire de l’icône fait ainsi figure d’hymne.
Au fil des pages, on a même le sentiment que ce n’est pas nous qui
contemplons les icônes, mais le Ciel qui nous regarde à travers elles.
Velmans
Tania, La Fabuleuse Histoire de l’Icône, Coll. Un nouveau regard par
Vladimir Fedorovski, Éditions du Rocher, 256 pages, 19.9 €
Prévost
Philippe, Le temps des compromis - LMS
On
attend toujours avec impatience les livres de Philippe Prévost. Le temps des
compromis traite du sens politique de l’armistice franco-allemande. L’historien
réinterprète la fameuse entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler ainsi que
la politique britannique. Il rappelle que les partisans de l’apaisement, des
deux côtés de la Manche, tenaient le haut du pavé dans les premiers mois de
la guerre et menaient séparément des négociations en vue d’une paix de
compromis. D’où la surprenante décision allemande d’arrêter l’avancée
des Panzers à quelques kilomètres de Dunkerque. L’auteur justifie aussi la
poignée de main entre le Führer et le Maréchal, la considérant comme une
réponse de la France aux menées britanniques auprès de Berlin.Une « course
à la paix » que la France aurait remportée jusqu’à ce que l’Angleterre
décide de s’engager dans une guerre totale.
Prévost
Philippe, Le temps des compromis Mai-décembre 1940, préface de FG
Dreyfus, Éditions CEC, Paris, 210 pages, 15 €
Un
pape à suspense - Joël Prieur
Que
faut-il retenir de l'immense littérature qui se publie aujourd'hui sur le
nouveau pape Benoît XVI ? Les premiers livres, parus dans la fièvre de
l'élection, sont déjà obsolètes. Pour qui veut comprendre le pontificat, je
conseillerai volontiers le livre de Jean Chélini: Benoît XVI, l'héritier
du Concile. C'est sans doute le plus complet sur la figure du pape allemand,
celui qui est écrit avec le plus de recul, non par un essayiste d'occasion,
mais par un véritable historien, spécialiste du monde médiéval mais aussi
biographe de Pie XII et de Jean Paul II. Alors qu'un Jean Marie Guesnois,“spécialiste”
de l'information religieuse au quotidien La Croix n'hésite pas à titrer son
petit livre: Benoît XVI, le pape que l'on n'attendait pas, Chélini ose appeler
celui qui se trouve aujourd'hui sur le Siège de Pierre: «le pape de l'ombre
depuis 20 ans», ce qui paraît beaucoup plus proche de la réalité. On
s'aperçoit, en lisant Chélini, que Benoît XVI est devenu pape… tout
naturellement, parce que c'était le plus compétent et en même temps, chose
trop peu aperçue, parce que c'était devenu… le plus Romain des cardinaux!
Lui, le Bavarois, autrefois toujours un peu supérieur, comme tout bon
Germanique, il fait désormais profession d'aimer Rome. Mieux que tel ou tel
cardinal italien, mieux que son rival milanais le cardinal Martini, qui souhaite
être enterré à Jérusalem, lui, il s'est identifié à l'Urbs, faisant
un peu penser en cela à son prédécesseur tellement aimé des Romains.
Évidemment,
ce que l'on demande à un tel livre, en un tel moment, c'est de nous éclairer
sur l'avenir. Jean Chélini nous rassure: que ce soit à Munich, lorsqu'il est
devenu archevêque, que ce soit à Rome lorsqu'il était préfet, Joseph
Ratzinger s'est toujours gardé des programmes. Raison profonde de cette
aversion pour tout ce qui serait prédéfini ou préétabli: un goût profond de
la liberté humaine d'abord. Et puis aussi, sans doute, un sens artistique où
l'improvisation trouve tout naturellement sa part.
Jean
XXIII, le vieux pape Roncalli, avait été élu pour être un pape de
transition, histoire de laisser le temps aux éléphants de la Curie de se
mettre d'accord sur un nom: en réalité, il a ouvert une nouvelle ère dans
l'histoire de l'Église. On peut se demander, à la lecture des pages si “objectives”
de Chélini, si Benoît XVI, l'intellectuel, réputé pour son conservatisme, ne
serait pas en réalité ce “pape capable de tout”que l'on avait cessé
d'attendre depuis Jean XXIII. De tout? Oui, et de son contraire.
Jean
Chélini, Benoît XVI, l'héritier du Concile, éd. Hachette
Littérature, décembre 2005, 360 pp., 23 €
Catéchisme
: le vide obligatoire
- Joël Prieur
À
la fin de 1967, paraissait, sans tambours ni trompettes un volume intitulé : Fonds
obligatoire à l'usage des auteurs d'adaptation. Catéchisme français du cours
moyen. Dans la revue Itinéraires, Jean Madiran n'hésita pas à parler à
ce propos de « l'événement le plus important de l'histoire religieuse de la
France depuis la conversion d'Henri IV ». Il s'agissait en effet d'une nouvelle
manière de transmettre la foi catholique aux jeunes générations. Et
d'emblée, les évêques français avaient décidé que cette nouvelle manière
de faire serait obligatoire. Or cette nouvelle “catéchèse”, que l'on
n'osait même plus appeler catéchisme, ne comportait plus l'enseignement du
contenu de la foi catholique. Résultat deux générations plus tard : un
véritable génocide spirituel. Les enfants de France ne savent plus ce qu'est
leur religion. Au nom de la nouvelle méthode, on les a contraints à s'en tenir
à une analyse de leur “vécu personnel”, à un décryptage de leur propre
expérience intérieure. Expérience voisine du Zéro, on aurait pu s'en douter.
Le directeur de Présent, Jean Madiran commente la crise, implacable comme à
son habitude :
«Alors
commence ce que l'on peut appeler une vacatio catechismi, par analogie
avec la vacatio legis : celle-ci désigne, on le sait, un vide juridique,
la situation où il n'existe aucun texte législatif en vigueur auquel se
référer. La vacatio catechismi est la situation analogue créée par la
disqualification de fait, puis de droit (par abus de droit) de tous les
catéchismes catholiques existants, y compris leur référence commune qui est
le catéchisme romain, sans qu'ils aient été remplacés par une nouvelle
référence universelle et sûre ».Avec cette brillante idée de la nouvelle
catéchèse obligatoire, on en arrive à un paradoxe insoutenable : s'il est
vrai, comme on le dit parfois que « l'univers est une machine à fabriquer des
dieux », il est monstrueux de penser que par la puissance des nouvelles
obligations créées après le Concile, l'Église catholique française est
devenue une machine à produire des individus sans religions, des cervelles sans
défense face à la réislamisation des Banlieues. Aujourd'hui, sous l'impulsion
vigoureuse de Benoît XVI, Rome entend remettre de l'ordre et le pape publie son
propre catéchisme abrégé. Mais n'est-il pas trop tard?
C'est
cette “Histoire du catéchisme” que nous conte Jean Madiran dans son dernier
livre. Sans complaisance, il met le doigt sur l'une des causes majeures de la
rupture de Tradition dont souffre la France d'aujourd'hui. Et il désigne les
responsables. Sous la plume de ce disciple de Péguy, cette histoire ne renvoie
pas seulement à un chapitre de l'histoire religieuse de la France. C'est
quelque chose comme la chronique impitoyable de la mort annoncée d'une
civilisation.
Jean
Madiran, Histoire du catéchisme (1955-2005), éd. Consep, 160 pp., nov.
2005, 20 €
Des
mots pour la vie -
Joël Prieur
Chacun
a les anges gardiens qu'il peut. Ceux qui forment le Grand Conseil de Georges
Laffly n'ont sans doute pas été souvent sollicités pour ce rôle. Il s'agit
de quelques-uns des grands écrivains qui ont illustré en France la République
des Lettres au XXe siècle. Lorsqu'il évoque le sourire de Jacques Perret, la
France de Georges Bernanos, le second monde de Jean Paulhan ou la famine du
sacré qui tenaillait Jules Monnerot, Georges Laffly ne se contente pas de faire
ce qu'il est convenu d'appeler de la critique littéraire. Il ne nous perd pas
dans les dédales de l'histoire qui sont comme le plaisir solitaire des
érudits. Et en même temps, c'est avec une érudition jamais prise en défaut
qu'il nous introduit au cœur des grandes pensées qu'il évoque. Il faut avoir
beaucoup lu pour aller si vite à l'essentiel ! C'est une véritable connivence
qu'il recherche avec les auteurs qu'il a élus pour faire partie de son Conseil.
Il cherche à créer, entre eux et nous, une complicité spirituelle, une
direction de l'esprit pour laquelle il ne faudrait pas forger les règles
froides qu'imaginait Descartes mais découvrir simplement les mots chaleureux,
les expressions lumineuses, les paroles d'or de ces Maîtres, qui sont loin
d'ailleurs, d'avoir toujours mis en pratique leurs petites et grandes
découvertes verbales. Comment aller toujours plus loin avec les mots? Comment
donner aux mots des autres tout leur poids de vérité. Tel est, semble-t-il, la
question que s'est posé, sans aucun scrupule apologétique, le catholique
Laffly, au contact de ces puissantes caisses de résonance dont il ne cesse de
sonder l'écho. Alors que la barbarie (ce mépris pour toutes les formes de la
culture héritée) nous guette tous, l'auteur n'hésite pas à ériger ces
auteurs comme autant de signes dressés face à notre déclin. On peut dire que
ce livre, dont nous espérons qu'il soit suivi de quelques autres dans le même
registre, permet à tous ceux qui n'ont pas le temps de dresser des inventaires,
d'aller immédiatement à ce que les grandes plumes de notre passé gardent de
profondément vivant et revigorant pour chacun de nous. Ici et maintenant.
Georges
Laffly, Le grand conseil, éd. de Paris, 210 pp., déc. 2005, 24 €
|