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Islam, christianisme, le dialogue impossible ?
Abbé G. de Tanoüarn
Objections - n°3 - février 2006

Actuellement, le dialogue islamo-chrétien ou le dialogue islamo-laïque sont engagés l'un et l'autre dans des impasses, parce que l'on communique par homonymie. Les mots que l'on emploie de part et d'autre sont les mêmes mais ils n'ont pas le même sens.

On a perdu les mots. On se perd dans un jeu d'étiquette, on parle par exemple de “respect de la foi d'autrui”, de “défense du sacré”, de “tolérance réciproque”. Hélas ! Pas une seconde on ne s'avise de ce que les mêmes mots n'ont pas forcément le même sens pour les musulmans, pour les catholiques… et pour les laïques laïcistes. Lorsqu'on parle à un musulman de foi, de sacré, de tolérance, que met-il sous ces mots-là ? Lorsqu'on parle à un musulman de la différence que nous établissons entre islam et islamisme, qu'est-ce que cela signifie pour lui?

Il est trop facile d'enfermer la personne qui est en face de nous et qui ne nous plaît pas dans la peau d'un extrémiste parce qu'on ne la comprend pas. Il faut cesser de considérer que nous jugeons des personnes et commencer à étudier les textes. Et cela, même lorsque les textes ne sont pas toujours rassurants sur les personnes. Voici par exemple ce que déclarait l'islamisante Anne Marie Delcambre: «L'islam pose problème, parce qu'il est dans l'impossibilité d'échapper à ses textes fondateurs. Il faut avoir le courage de dire que l'intégrisme n'est pas la maladie de l'islam. Il est l'intégralité de l'islam. Il est la lecture littérale, globale et totale de ses textes fondateurs».

L'autrisme, cette maladie de l'identité

Pourquoi ne veut-on pas voir ou ne veut-on pas lire ces textes?

Il me semble que l'on peut reprocher à l'Occident ce strabisme divergeant permanent que l'on nomme “autrisme”. Autrisme? Ce néologisme désigne la maladie qui nous oblige à considérer que l'autre a toujours raison. Attention ! Il y a un paradoxe dans cette maladie ! Depuis Montesquieu et ses fameuses Lettres persanes, on regarde vers l'autre et on le pare de toutes les qualités, mais on est incapable de poser en face de soi un “autre” qui soit autre. Le Persan qu'a trouvé Montesquieu pour orchestrer sa satire du siècle de Louis XIV est un Gaulois égaré, qui cache, par un déguisement et sous un nom emprunté, l'émotion que lui procure Paris, le Grand roi et sa cour.

Ne parlons pas dans le vide. Prenons un exemple. Le livre que Norman Daniel a consacré aux rapports entre L'islam et l'Occident est un immense travail. Il suppose l'étude d'une bibliographie considérable et difficilement accessible. Il révèle un grand savant. Dans son avant-propos, Norman Daniel ne se cache pas d'avoir un double objectif : «Mon premier objectif est d'ordre scientifique ; j'ai voulu établir un certain nombre de faits ». Mais, ajoute-t-il, «mon second objectif consiste à examiner les conséquences de l'ignorance et du mépris de certains hommes envers d'autres, qu'ils supposent être leurs ennemis». le second objectif n'est plus scientifique. Il est totalement gangrené par l'autrisme. « Certains hommes envers d'autres»: les Occidentaux vis-à-vis des Orientaux. Sans jamais renverser les rôles : «Ce n'est pas mon sujet» lance Norman Daniel. Ce sont « les Européens» qui sont priés de «bien vouloir reconnaître les nombreuses idées fausses auxquelles leur civilisation a adhéré». L'inverse est-il imaginable? Peut-on demander le même effort aux musulmans? «Les musulmans sont en droit (sic) d'imaginer qu'ils en ont fait autant (mutatis mutandis)». Mais l'auteur prévient qu'il n'en parlera plus et qu'il se concentre sur «les erreurs des Européens».

Une telle attitude peut être mise au compte de la mauvaise conscience des Européens. Il me semble aussi qu'elle cache - derrière l'autrisme affiché - un extraordinaire européo-centrisme. L'auteur semble nous dire: on parlera de l'Occident, on parlera de soi, pour en dire du mal. Mais au fond de son discours justificatif, il y a l'idée, bien cachée, que l'Europe est le seul sujet important. Et c'est à travers le prisme européen que l'on condamnera l'Europe. Ce livre s'appelle Islam et Occident. Il ne contient pas une ligne d'analyse du Coran. Toute la littérature européenne sur l'islam est analysée et jugée, mais ce n'est jamais en fonction du Coran et des autres textes fondateurs de la Tradition musulmane. C'est en fonction de la morale occidentale du moment, en cernant ce que l'auteur appelle dédaigneusement «les préjugés », c'est-à-dire ce qui ne rentre plus dans la vision universelle du religieux qui a cours au milieu du XXe siècle. L'autrisme se révèle, en ce point, comme une subtile variante de l'autisme.

La vérité par le dialogue

Il est bien évidemment impossible de dialoguer en vérité avec autrui, si l'on se trouve en état d'autrisme. Notre ambition, à Objections, est de sortir de cet “autrisme” en proposant une réflexion fondamentale sur les termes utilisés par le dialogue interreligieux. Et le premier des mots qui fera l'objet de notre étude est le mot religion, justement. Depuis le Concile Vatican II, depuis la déclaration Nostra aetate sur les religions non chrétiennes, on ne veut plus voir la religion (quel que soit son contenu) que comme une vertu. Le père Laberthonnière, qui n'était certainement pas thomiste, tenait, lui, à ce que l'on évoque aussi « le vice de religion ». Il voulait souligner, à travers cette petite provocation, que les hommes ne parlent pas forcément de la même chose lorsqu'ils évoquent, à des époques différentes, dans des contextes différents, à des fins différentes, la religion.

Il est évident que toutes les religions ne se valent pas, ne serait-ce que parce que, d'une religion à une autre, le mot de religion ne signifie pas la même chose. Il ne renvoie pas aux mêmes attitudes. Il ne remplit pas la même fonction. Nous montrerons cela, en long et en large, en particulier à propos de l'islam, dans le prochain numéro!

 

 

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