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Colonialisme,
la prophétie laïque de Jules Ferry
LMS
Objections - n°3 - février 2006
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Rome
et les Etats Unis, voilà deux empires, qui ont tenté de soumettre le monde!
Combien plus difficile à mesurer l’impérialisme d’une Idée, que l’on
considère a priori comme seule capable de sauver le monde. La laïcité, à la
charnière du XIXe et du XXe siècle, a été, plus encore que l’idée
socialiste plus tard, cette doctrine de la liberté de l’esprit, au nom de
laquelle, après avoir libéré l’Europe, il fallait aller libérer le monde!
Le marxisme aura plus tard le même destin, mais ceci est une autre histoire…
Les
livres d’Histoire considèrent la fin du XIXe siècle et le début du XXe
siècle comme la « grande époque de l’impérialisme colonial ». Cet
impérialisme s’inscrivait certes dans une logique économique et
démographique, mais aussi politique et idéologique. Dominés par l’historiographie
marxiste, les chercheurs ont souvent délaissé ce second aspect de l’expansion
coloniale, à l’exception de Raoul Girardet qui, dans son ouvrage L’idée
coloniale en France (Hachette Pluriel, 1978), démontra que le colonialisme fut
plus le fait d’une époque que d’un parti. On se souvient des amalgames de
Lionel Jospin devant l’Assemblée
nationale sur l’affaire Dreyfus et l’histoire coloniale de la France, les
réduisant idéologiquement à une division entre la droite et la gauche. Il
avait bien évidemment tort !
Après
le recul de la France, conséquence de la défaite de 1870 contre la Prusse, ce
fut Jules Ferry qui pensa et mis en œuvre une politique coloniale dans les années
1880. Cette dernière s’inscrivait dans une perspective messianique. On parla
très vite de la «mission coloniale de la France ». La France qui « a de son
rôle humain une conception si haute, sa mission s’impose à elle d’une
façon si claire, si impérieuse, qu’elle y voit moins l’œuvre de son
propre génie que l’expression de lois éternelles. La conception française,
c’est l’éternel humain » n’hésite pas à dire le Ministre des Colonies
Étienne Clémentel au Congrès colonial français (1906). Jules Ferry avait
peutêtre des motivations commerciales, mais il les complétait par une
idéologie dans la bonne tradition révolutionnaire.
Au
même titre que les armées révolutionnaires de 1792 s’engagèrent sur les
routes de l’Europe pour exporter la Révolution, la Troisième République s’engagea,
elle, sur les mers et les continents au nom du «Progrès ».
S’il
fallait s’investir dans cette politique coloniale, c’était d’ailleurs
pour une raison bien particulière: «Messieurs, il faut parler plus haut
et plus vrai ! Il faut dire ouvertement que
les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures (…) Je
répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un
devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures »
lance le fondateur de l’école obligatoire, gratuite et laïque à l’Assemblée
nationale le 28 juillet 1885. Et cette affirmation fut accueillie dans les rangs
de l’institution démocratique par des « Très bien ! Très bien ! ».
Au nom de la Science, de la Raison et de la
Liberté, la France s’engage dans cette mission « d’humanité» au même
titre qu’en 1793 il fallait sortir la Vendée des ténèbres de la religion
obscurantiste en abreuvant les sillons d’un « sang impur » comme
le proclame la Marseillaise. En réalité, ce racisme de la fin du XIXe fait
écho au racisme des Lumières, fondé sur une philosophie matérialiste niant l’existence
de l’âme.
Un
racisme latent
Pour
l’historien Jean de Viguerie, deux conséquences en résultent :
premièrement, l’humanité est réduite à des catégories raciales ;
deuxièmement l’homme se confond avec l’animal. Tandis que Voltaire
considérait que «la race des Nègres est une espèce différente de la
nôtre» (Essai sur les Mœurs,
œuvres complètes, 1785-1789) et mettait
sur un pied d’égalité les singes, les éléphants et les noirs dans son Traité
de Métaphysique (sic !), Ferry évoquait
lui, la « race à moitié sauvage» des Hovas de Madagascar. Il inscrivait son
œuvre non pas dans le cadre d’un devoir politique ou même historique, mais
dans celui d’une «métaphysique politique » (re-sic !) : « Est-il possible
de nier que dans l’Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se
rencontrent dans l’histoire de cette conquête, il y a aujourd’hui
infiniment plus de justice, plus de lumière, d’ordre, de vertus publiques et
privées depuis la conquête anglaise qu’auparavant ?»
Certes,
toujours au nom des Lumières, Ferry souhaitait également mettre fin à la
traite des noirs et à l’esclavage qui étaient une tradition africaine et
musulmane, comme le rappelle magistralement le médiéviste Jacques Heers dans
son livre Les négriers en terre d’Islam (Perrin, 2003). Il n’empêche:
on retrouve dans son programme colonialiste cette volonté si typique du
post-rousseauisme idéologique, d’imposer par la force une vision, des
conceptions et des idées, censées apporter le bonheur…
Un
idéalisme en somme, teinté de romantisme. Cela ne durera même pas un siècle.
Tout
radical qu’il était, l’anticolonialiste Camille Pelletan raillait cette
civilisation «qu’on impose à coup de canons» et la considérait comme une
autre forme de barbarie:
«Est-ce
que ces populations de races inférieures n’ont pas autant de droit que nous?
Estce qu’elles ne sont pas maîtresses chez elles? Est-ce qu’elles vous
appellent? Vous allez chez elle contre leur gré, vous les violentez, mais vous
ne les civilisez pas.»
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