| |
L’Amérique,
nouvelle Rome ?
Nicolas
Varèque
Objections
- n°3 - février 2006 |
Alors
que la France est engluée dans un débat sur les bienfaits ou les maux de la
colonisation de l’Afrique au XIXe siècle par les empires européens, comment
ne pas considérer la réalité d’un autre empire qui, aujourd’hui, s’étend
sans concurrent sur toutes les terres connues ? De cet empire, nous sommes les
sujets. Tels les Africains, nous en tirons des bienfaits matériels que nos
aïeux n’auraient jamais pu imaginer. Que devons-nous craindre, ou espérer,
de la Pax americana ?
Le
XXe siècle aura marqué le déclin des nations européennes, jadis maîtresses
de l’avenir du monde. Avant cela, ce qu’on appelait les « relations
internationales » ne concernait en réalité que les relations
intra-européennes. Il a fallu une Première guerre mondiale pour que ces
nations perdent toute influence économique, une Seconde pour qu’elles
promettent de renoncer à leur empire, et la crise de Suez pour qu’elles
finissent par abdiquer face à leurs deux nouveaux maîtres : les Etats-Unis et
l’URSS, à l’issue d’une intervention franco-britannique contre l’Égypte
qui fut mise en échec par l’action combinée des deux super-puissances. À
partir de cette date (1956), la Grande-Bretagne se rangea définitivement sous
la coupe américaine, profitant de sa relation privilégiée, alors que la
France comprit son échec et tenta de se replier sur le pré carré en rappelant
au pouvoir l’ancien résistant londonien, celui qui aurait pu rendre un peu de
grandeur à la France par la grandeur qu’il estimait être la sienne : le
général De Gaulle.
Des
accords d’Évian à la réélection de Jacques Chirac à 80 %, sacre de la
pensée unique, la chute de notre pays n’a été qu’une longue descente
selon un parcours d’obstacles. Et aujourd’hui, alors que l’islam pénètre
le tissu social de nos banlieues en y concurrençant l’État sur ses
prérogatives les plus incontestablement régaliennes, le président du parti de
la majorité prône la prise en charge par l’État de la construction de
mosquées et de la formation des imams, répétant en pleine révolte islamique
que « l’islam est une religion de la paix ».
Indépendance
perdue
Que
ce soit sur les plans stratégique, économique ou culturel, nous sommes revenus
à l’âge de pierre. Comment, dans de telles circonstances, pourrions-nous
encore imaginer être indépendants ?
L’Amérique
a commencé à se comporter comme un empire à la chute de sa rivale
soviétique, comme le fit Rome quelques années après la chute de Carthage. -
Mais, direz-vous peut-être, offusqués par ce parallèle, les États-Unis
forment une grande démocratie. Pas une puissance impériale. - Je répondrai
que Rome ne changea jamais réellement de régime, et cet empire demeura
juridiquement une république, même si les pouvoirs étaient le plus souvent
concentrés dans les mains d’un seul homme. À l’échelle d’une vie
humaine, personne ne se rendit vraiment compte d’une évolution
institutionnelle, et seul l’historien a pu fixer, de par son recul, des
limites entre les périodes.
Ce
qui fait un empire
En
réalité, ce qui fait un empire, ce n’est pas la nature monarchique de ses
institutions, mais bien la mise sous tutelle de plusieurs peuples qui s’alignent
sur des normes civilisationnelles en échange de matières premières ou de
biens manufacturés.
Dira-t-on
que la prépondérance américaine se caractérise uniquement comme un
impérialisme économique? C’était la terminologie de Karl Marx. Aujourd’hui,
même les penseurs de gauche n’y font plus référence. L'historien Eric
Hobsbawn, par exemple, reconnaît un changement typologique, lorsqu’il
remarque que «la mondialisation libérale et l’interdépendance capitaliste
ont été supplantées par une politique de puissance impériale s’affirmant
comme tel.»
Cet
empire a vocation à coloniser toutes les nations. La plupart d’entre elles
font déjà partie du « système», constitué d’un échelon dirigeant (l’Organisation
mondiale du commerce et les institutions monétaires), d’une politique (le
capitalisme), d’un plan d’aménagement du territoire (spécialisation des
régions du monde dans la production), d’une religion d’État (les droits de
l’homme), d’une police (l’armée américaine et ses bataillons de
légionnaires, constitués des forces autochtones des colonies participant à
des coalitions).
À
l’intérieur de cet étrange limes sociétal, nous plaçons aussi les grands
rivaux, tels que la Chine. Elle a rejoint l’Amérique sur le plan
géopolitique en 1972 : Henry Kissinger lui avait alors proposé une alliance
contre l’Union soviétique. Elle s’est pleinement ralliée à l’empire
lors de la transformation récente de son économie. Telle Constantinople, qui
avait concurrencé Rome au sein même de l’Empire, la Chine conteste à l’Amérique
sa suprématie, non pas contre le système, mais par le système.
Aujourd’hui,
seuls quelques États faillis (la Somalie, la Corée du Nord…), quelques
organisations mafieuses ou terroristes restent en dehors du limes. Tels les
barbares des Romains, ils vivent aux marges du système, et détournent ses
propres valeurs contre lui-même, affaiblissant ainsi sa capitale. L’historien
Jean-Baptiste Duroselle prédisait, il y a plus de dix ans, la chute
inéluctable de l’empire américain. Si l’on peut poursuivre l’analogie
avec l’empire de Rome, nous pouvons imaginer que l’Amérique finirait par s’écrouler
sous la pression de ces barbares, alors que la Chine, devenue à ce moment plus
brillante, reprendrait en Orient le flambeau de la direction du monde.
Le
flambeau
Ce
qui importe, c’est avant tout de remarquer que le flambeau tenu aujourd’hui
par l’Amérique est celui de l’Occident. De même que l’hellénisme était
toujours porté par Rome, ce flambeau tient toujours en lui le souvenir de la
Chrétienté. Mieux vaut aujourd’hui être chrétien à New York qu’à
Pyongyang ou à Riyad. Que l’Amérique abandonne donc ce projet impérial
avant qu’elle ne s’écroule avec lui! Telle Rome qui devint un phare encore
plus puissant par sa nouvelle vocation après la chute de l’Empire, que l’Amérique
renoue avec la source de sa civilisation, celle de la Charité et du
christianisme, et qu’elle profite de sa force pour diffuser ce message à
toute l’humanité.
|