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De l’idéal au réel…
Romain Bénedicte
Objections - n°3 - février 2006

L’amour rencontre un obstacle toujours imprévu et toujours au rendez-vous, une épreuve du feu, longue et souterraine : l’épreuve du quotidien. Ni le sublime, ni le sordide, mais la banalité.

Ils s’aiment, se marient ou, de manière plus moderne, vivent ensemble. Ils sont heureux. Le zénith est atteint, la sublimité de l’amour aussi. Amour rime ici avec toujours. Puis s’installe le quotidien avec son érosion froide et constante. Il fait du bruit en buvant son café. Elle n’est jamais coiffée en sortant du lit. Il laisse son linge sale en tas. Elle ne veut plus recevoir les amis. Il ne se rase plus et elle cuisine mal. Enfin, pas aussi bien que maman… La rose doucement se fane et s’éteint.

Pour réveiller l’amour, on recourt souvent au sordide. Les journaux regorgent de conseils dans ce sens. Il n’y a pas une semaine sans qu’un magazine publie une enquête sur les méthodes amoureuses des Français ou qu’un autre distille des avis sur la marche à suivre pour séduire à nouveau son partenaire. Ironie : le réchauffement de l’amour passerait, selon les conseilleurs médiatiques, par des escapades extra-conjugales.

Paradoxalement, dans notre société postmoderne, la fidélité fait recette. Gilles Lipovetsky l’avait déjà noté dans Le Crépuscule du devoir: « La hantise de l’individu narcissique, c’est moins le sexe que le déficit relationnel, la solitude, l’incompréhension. Ce qui se dit au travers de la fidélité érigée en idéal ». Le sociologue espagnol Javier Barraycoa (1) arrive à un constat similaire et précise dans quel sens le monde postmoderne conçoit la fidélité : « une exacerbation de l’individualisme qui exige que l’on idéalise quelque peu les relations ». D’où le paradoxe de notre société. Moins les conditions de la fidélité sont présentes dans la réalité, plus la fidélité s’impose comme un idéal. Élimé par la banalité d’un quotidien qui ne se révèle jamais aussi rose qu’on l’avait espéré, l’amour se rêve en quadrichromie dans la quête d’une fidélité idéalisée. Non contente d’avoir déconnecté l’amour de sa finalité sociale et politique, qui s’incarne par la famille, cellule de base de la société, la modernité a perverti également la fidélité. De moyen, elle en a fait un but. Pire, un rêve ! Donc un au-delà de l’amour.

Au couple, « sublime-sordide » s’adjoint désormais le couple « banalitéutopie ». Maurras remarquait que « si les saints peuvent prier en paix et les sages travailler avec fruit, c’est que l’épée guerrière, menée par le sceptre des rois, a déterminé autour d’eux la zone où ces occupations sublimes restent possibles ». Volens, nolens, c’est la même chose pour l’amour. On ne lui évitera pas l’érosion du quotidien sans un effort constant. Mais cet effort constant a besoin d’être soutenu, par un ordre social et politique qui lui est favorable. Une perle sans écrin reste la proie des voleurs.


(1) Du pouvoir dans la modernité et la postmodernité, Hora decima, 2005

 

 

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