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L’idéologie
du « genre », pour une révolution sexuelle
Jeanne Smits
Objections
- n°3 - février 2006 |
«On
ne naît pas femme, on le devient.» Symbole d’un féminisme extrémiste que
la plupart d’entre nous pourraient croire révolu, la formule lapidaire de
Simone de Beauvoir a un petit goût de déjà-vu, de dépassé, de « guerre des
sexes» enterrée faute de combattants.
Et
pourtant… Pourtant, elle est au cœur de la déconstruction de la société
que nous sommes en train de vivre à travers une actualité multiple dont les
revendications – de mieux en mieux satisfaites – de la communauté
homosexuelle, ou plutôt de sa minorité agissante, le lobby gay, ne sont que
les aspects les plus frappants. Car dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres,
le sage conseil du fin limier français – «Cherchez la femme!» – est
finalement le plus pertinent. Pour promouvoir le néant, il fallait attaquer la
famille au cœur…
Ce
qui se cache, en réalité, derrière la lutte “vertuiste” contre l’homophobie?
Le vieux nihilisme européen dont parlait Nietzsche, un refus de l’être comme
donné ou de l’être comme nature, refus imposé d’“en haut” à une
société déjà déboussolée.
Tout
commence dans les années 1960 aux Etats-Unis avec la naissance, dans des
milieux très intellectuels d’un féminisme radical qui développe dans toutes
ses ramifications l’idée-force de Simone de Beauvoir. Il pose comme principe
l’idée que la différence entre l’homme et la femme ne relève pas de la
nature, mais de la culture. Ce sont les «stéréotypes » de l’éducation, la
pression sociale, et plus généralement la domination séculaire du patriarcat
qui ont imposé aux femmes l’accomplissement des tâches subalternes de la
maternité et de la domesticité: une mise sous tutelle qu’elles doivent
rejeter d’urgence pour retrouver la pleine égalité de droit et de fait avec
les hommes. Les uns et les autres doivent devenir interchangeables.
Une
bonne guerre sémantique
Tout
cela ne va bien sûr point sans un travestissement de la réalité, et comme
dans toutes les révolutions réussies, il aura fallu d’abord une bonne guerre
sémantique. L’idole à abattre – pour ces féministes radicales – c’est
le fait de l’identité sexuelle. Un être humain ne doit plus se définir
comme homme ou comme femme, notion culturelle et facteur d’oppression, mais
par son «genre». Ou, pour reprendre le terme anglais d’origine: le «gender»,
mot propre aux grammairiens pour désigner le genre d’un nom, et que la pudeur
victorienne avait dans une certaine mesure substitué au «sexe», trop cru.
Genre:
c’est dans le langage des féministes, le «rôle socialement construit»
(ainsi le définit l’un des auteurs les plus en vue de ce féminisme, Judith
Butler). Pour une femme réellement libérée, la conscience de subir l’oppression
patriarcale qui s’appuie sur les quelques différences que l’on avait cru
constater entre les filles et les garçons va lui permettre de tout considérer
à travers une «perspective de genre». Et de lutter, dans tous les aspects de
sa vie et, si possible, dans tous les aspects de la vie de toutes les femmes,
pour que l’on n’assigne plus des «rôles de genre» basés sur la simple
identité sexuelle. En déconstruisant le genre, la lutte des classes engendrée
par les inégalités entre les hommes et les femmes se résoudra rapidement dans
une synthèse, façon marxiste: la déconstruction devient ainsi un but en soi.
Pour effacer les coupables différences conçues comme autant de facteurs d’oppression,
il faut bien sûr bousculer quelques idées reçues. Imposer l’idée, en
substance, que toute organisation, voire toute attraction exclusivement
«hétérosexuelle» est finalement suspecte en soi. Une Adrienne Rich, poète
américaine féministe de tout premier plan, écrit ainsi dans un recueil en
prose publié en 1986: «Une stratégie appropriée et viable du droit à l’avortement
consiste à informer chaque femme du fait que la pénétration hétérosexuelle
est un viol, quelle que soit l’expérience subjective contraire.»
Il
fallait oser. Comme ne manquent pas de sel toutes ces constructions
idéologiques qui passent sous silence à la fois la réalité de la
procréation humaine fondée sur l’altérité sexuelle, et la vocation – mot
interdit, auquel on a substitué ce « rôle» que chacun «joue» en raison de
son conditionnement culturel – qui rend la femme différente de l’homme et
qui donne à la mère, dans l’éducation, à la fois des armes et des tâches
distinctes de celles du père, en vue d’un objectif commun: faire grandir un
enfant pour qu’il puisse librement choisir Dieu.
Le
sexe : une aliénation sociale
Eh
oui, même les féministes sont obligées de constater que la gestation est le
propre de la femme. Mais pour elles, la biologie s’arrête là. Pour elles, le
propre de l’humanité est de dépasser la nature.
Et
nous en arrivons à un concept clef, formulé ici par Heidi Hartmann (1981):
«La façon dont se propage l’espèce est socialement déterminée. Si,
biologiquement, les personnes sont sexuellement polymorphes et si la société
était organisée de manière à ce que l’on permette de façon égale toute
forme d’expression sexuelle, la reproduction ne serait alors que le résultat
de quelques rencontres sexuelles: les rencontres hétérosexuelles. La division
stricte du travail selon les sexes, invention commune à toute société connue,
crée deux genres bien séparés. D’où la nécessité de réunir l’homme et
la femme pour des raisons économiques. Cela contribue ainsi à orienter leurs
exigences sexuelles vers la réalisation hétérosexuelle, et à assurer la
reproduction biologique. Dans des sociétés plus imaginatives, la reproduction
biologique pourrait être assurée par d’autres techniques.»
Notre
époque est certes mûre pour cela, avec ses fécondations artificielles, ses
recherches sur le clonage et ses revendications sur «l’homoparentalité ».
Il
faut bien comprendre que dans cette «perspective de genre», les êtres humains
sont bien «sexuellement polymorphes ». L’idéal recherché, c’est
que l’on puisse s’unir ou se marier avec une autre personne sans se
préoccuper de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.
Pour
extravagantes qu’elles puissent paraître, ces idées ont pignon sur rue.
Elles ont formaté le Politiquement correct dans les plus prestigieuses
universités américaines ; et sans s’afficher, elles ont irrigué toute la
société moderne.
Dès
lors l’identité sexuelle est récusée ou «dépassée». Dans la mesure où
tous les choix de comportement se valent, on substitue à la traditionnelle
complémentarité de l’homme et de la femme la liberté absolue de l’«orientation
sexuelle ». L’indifférence entre les hétéros, les gays, les lesbiennes,
les bi et les trans devient la norme…
Le
désir ? Mais c’est l’être même
À
la faveur des lois réprimant l’homophobie, le respect de la nature devient un
tabou. En lieu et place, apparaît un constructivisme fondé sur le seul désir,
légalement et socialement reconnu dans sa toute-puissance. C’est le désir
qui détermine l’orientation sexuelle, et lui seul. Cela conduit à une
définition changeante et indifférenciée de la personne, libérée non tant de
gênantes contraintes morales que du poids insupportable qu’impose la
condition d’êtres finis et sexués. Il suffit désormais de “vouloir être”
pour être ce que l’on veut.
Notez
que cette philosophie du néant, ou plutôt de la révolte vieille comme le
monde, ne se limite pas aux rapports entre hommes et femmes qui sont à la base
de notre société, faite de familles. L’enfant aussi se définit d’après
le seul désir: les lois bioéthiques françaises reconnaissent à l’embryon
le droit de vivre dans la mesure où il fait l’objet d’un «projet
parental», l’avortement est autorisé quand l’enfant n’est pas
«désiré». Les aberrantes pédagogies modernes reposent sur une même
primauté de l’envie et du ressenti par opposition à la recherche de la
vérité objective.
Le
désir est déifié, en somme, alors qu’il devrait conduire à Dieu.
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