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Liberté pour l’histoire!
La nomenklatura des historiens français face à ses contradictions
Louis Grenier
Objections - n°2 - janvier 2006

Aujourd’hui, en France, nul ne sait plus — et les historiens les premiers — de quoi hier sera fait. Au fil des ans, une série de lois, votées par une classe politique lâche et déboussolée, sous l’influence de groupes de pression aussi arrogants que marginaux, a en effet criminalisé la libre recherche historique dans des secteurs aussi stratégiques que la Seconde Guerre mondiale et l’expansion européenne outre-mer. « Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé », écrivait Orwell en 1950. Aujourd’hui, nous y sommes en plein : la « mutabilité du passé » et le « crime par la pensée » ne sont plus de la littérature.

Au départ – c’est-à-dire au moment de la discussion de la «loi Gayssot» –, la nomenklatura historienne française avait certes exprimé des réticences, mais elle avait laissé faire les politiciens (avec lesquels elle vit en symbiose: elle leur fournit des idées et des arguments, ils lui distribuent de l’argent public), considérant qu’en fin de compte cette législation n’allait guère frapper que l’engeance «révisionniste », c’est-à-dire (croyait-elle) une «extrême-droite » contre laquelle tous les moyens sont permis.

Mais aujourd’hui, c’est fini de rire, et les apprentis-sorciers commencent à prendre peur: à la suite de la parution d’un banal article dans le «Journal du dimanche» du 12 juin 2005, leur collègue Olivier Pétré- Grenouilleau, professeur à l’Université de Lorient, vient en effet de faire l’objet de plaintes pour contestation de crime contre l’humanité, en vertu de la «loi Taubira» du 21 mai 2001. Son crime? Cet historien sérieux, récent auteur d’un ouvrage de qualité consacré aux traites négrières (Fayard), s’est borné à rappeler qu’il a existé d’autres traites négrières que la traite européenne, que cette dernière a été moins durable et moins grave que la traite arabo-musulmane, que le but des négriers n’était pas de tuer leurs prisonniers, mais d’en faire commerce (la traite n’est donc pas un génocide), et que la révolution industrielle qui a fait la richesse de l’Occident ne doit pas grand-chose à l’argent de la traite. Ces platitudes ont touché au cœur – c’est-à-dire à la caisse – un certain nombre d’associations à caractère policier, qui ont décidé de traîner l’historien devant les tribunaux.

Se sentant maintenant directement menacée, la nomenklatura historienne vient de réagir en publiant dans la presse une pétition réclamant la « liberté pour l’histoire», c’est-à-dire l’abrogation de l’arsenal répressif voté tout au long de la décennie 1990. «L’histoire n’est pas une religion », proclame fièrement ce document: «l’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous», il «n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique». Comme «l’histoire n’est pas la mémoire», «dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique ». Les signataires réclament donc l’abrogation des lois du 13

juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001 et du 23 février 2005 qui, restreignant la liberté de l’historien, «lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver»: elles sont «indignes d’un régime démocratique ». Cette tardive réaction de bons sens, qui n’est qu’un réflexe de survie, appelle un certain nombre de remarques: à l’image de ses signataires, cette pétition est en effet pleine d’ambiguïtés.

Tout d’abord, ses auteurs appartiennent presque tous à une haute nomenklatura historienne de gauche, ultra-parisienne et conformiste par vocation: sont en effet représentés Sciences-Po (Jean-Pierre Azéma, Pierre Milza, Michel Winock), l’Université Paris I (Antoine Prost, Pierre Vidal-Naquet), l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Marc Ferro, Pierre Nora), le Collège de France (Paul Veyne), l’Académie française (Alain Decaux, René Rémond), l’École Polytechnique (Elisabeth Badinter), et même le Nouvel Obs’ (Jacques Julliard). Seul l’égyptologue Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, peut passer pour un représentant de la droite intellectuelle ; encore n’est-ce pas certain.

La trouille…

D’autre part, si ces privilégiés demandent l’abolition de lois authentiquement liberticides, ils incluent aussi dans leur réprobation la récente loi qui salue (à juste titre) les effets positifs de la colonisation. Or, cet amalgame est abusif, dans la mesure où, contrairement aux lois Gayssot et Taubira, elle n’est pas assortie de dispositions judiciaires répressives.

Tout se passe donc comme si, faute d’avoir réussi à empêcher le vote de cette loi au Parlement, la gauche cherchait sournoisement à prendre sa revanche dans la presse en agitant contre elle les intellectuels qui lui doivent leur situation et leur fortune.

Enfin, on ne voit pas pourquoi la législation dont cette pétition réclame l’abrogation serait «indigne d’un régime démocratique » : il est en effet dans la nature même de la tyrannie révolutionnaire de laquelle procède notre actuelle démocratie absolue d’interdire toute liberté d’opinion et de conscience: pas de liberté pour les ennemis de la liberté! Il est donc naïf et contradictoire de reprocher à la démocratie les lois liberticides qui lui permettent d’exister et de se maintenir.

Il y a fort à parier, en fin de compte, que cette pétition de la trouille ne soit une manœuvre oblique destinée à permettre à ses signataires (et à ceux qui les agitent) de garantir des coudées franches aux expéditions punitives dans le passé de l’Europe chrétienne auxquelles se livre depuis des décennies, sous couvert de recherche historique, une gauche intellectuelle qui n’a jamais revendiqué de liberté que pour mieux diffuser ses mensonges et ses fantasmes. Contre nous de la tyrannie!


En français dans le texte

«Sous sa forme actuelle, le débat français sur le passé dans lequel le présent n'entre pour aucune part est en train de devenir malsain ; il est le symptôme de l'effilochage du tissu national et d'un étrange climat de haine et de ressentiment. Derrière les revendications de plus en plus âpres des communautarismes rivaux, j'entends monter une trouble rumeur, où la voix aigre du délateur se mêle aux réclamations intéressées de la victime héréditaire»
Jacques Julliard, le nouvel Observateur, 22 décembre 2005

 

 

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