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Didier
van Cauwelaert: "Cloner le Christ?"
Débat/Contre
le Gnostique au linceul
Gwen Le Mouezec
Objections - n°2 - janvier 2006
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C’est
une étrange histoire. S’y mêlent de troublantes interrogations, de vraies
lumières et d’inquiétantes ténèbres. Tout a commencé par un roman, un
roman bizarre et ténébreux. racontant l’opération de génie génétique la
plus démente de toute l’histoire. Bien entendu, on restait dans un genre
fameux, celui de la mystification romanesque (et documentée) où Jules Verne et
Gaston Leroux se sont illustrés. De quoi s’agissait-il ? Tout simplement de
cloner Jésus à partir de l’ADN recueilli sur le Saint Suaire ou quelque
autre précieuse relique. On eut ainsi L’Evangile de Jimmy, né de la
plume féconde de Didier van Cauwelaert. Pour résumer l’œuvre en quelques
mots, il s’agit de l’histoire ébouriffante d’un certain Jimmy Wood,
réparateur de piscines dans le Connecticut, lequel découvre qu’il est tout
simplement le clone du Christ. De l’avis de certains, il s’agit de l’un
des meilleurs ouvrages du romancier.
Mais
il est des sujets qui ne vous lâchent pas. La réalité a bien vite rattrapé
ce qui n’aurait dû être que le postulat d’un roman fantastique. C’est
ainsi que le malheureux Didier van Cauwelaert, écrivain à succès, prix
Goncourt 1994, a été aspiré par une spirale infernale qui en a fait la bête
noire des rationalistes de tout poil (et d’un certain clergé), mais aussi la
coqueluche des plateaux de télévision pour le plus grand bonheur de son
éditeur. L’ Évangile de Jimmy a été en effet suivi d’un autre
ouvrage intitulé sobrement Cloner le Christ ?, ainsi que d’un
documentaire diffusé sur Canal Plus. Il ne s’agit plus de roman ni de fiction
mais bel et bien d’une enquête menée avec toutes les apparences de la
rigueur scientifique.
Pour
pouvoir cloner le Christ, encore faut-il disposer de Son ADN. Il importe donc
que la source où cet ADN a été prélevé, en l’occurrence le Saint Suaire
soit authentique. A vrai dire, c’est la partie la plus convaincante de Cloner
le Christ ?. Sont ainsi détaillées toutes les preuves en faveur de l’authenticité
du linge de Turin, sans oublier la critique des analyses au Carbone 14 qui
datent la relique du XIVe siècle. Sont également réfutées toutes les
tentatives d’explication par l’œuvre d’un faussaire, même génial qui
aurait dû, en plein Moyen Age, connaître le principe du négatif
photographique, être expert en anatomie, ainsi qu’en botanique.
Mais
le Saint Suaire n’est pas seul en question. Sont également étudiés la
Tunique d’Argenteuil et le Suaire d’Oviedo, deux autres "linges de la
Passion" nettement moins connus. Là encore, Didier van Cauwelaert se
montre un partisan résolu de l’authenticité. Mieux encore, notre écrivain
consacre de longues pages à une série de miracles et de reliques telles que la
"Tilma", ce "manteau de la Vierge" conservé à Mexico
depuis 1531, sans parler d’icônes pleurant des larmes de sang. Didier van
Cauwelaert se serait-il reconverti dans l’apologétique?
Pas
précisément et c’est bien là le problème. Celui qui se définit comme un
"libre croyant sans étiquette" n’entend nullement lancer un appel
à rejoindre l’Eglise catholique. Du reste, cette dernière est accusée
en permanence (et non sans vraisemblance) de cacher les preuves de l’authenticité
du Saint Suaire. Cela tourne même parfois à l’obsession du complot. Didier
van Cauwelaert est certes convaincu que le linceul de Turin est bien celui qui a
recouvert le corps du Crucifié, que ce corps a quitté mystérieusement et dans
des conditions extraordinaires son enveloppe de lin, mais il est également
convaincu que le message de « l’homme des linges de la Passion » n’est pas
celui du catholicisme, ni celui du christianisme en général.
Il
y a d’abord les habituels contresens et approximations des auteurs peu
familiarisés avec la théologie catholique. On peut citer le groupe sanguin de
Jésus (AB) et son génome qui feraient voler en éclats le dogme de la
virginité mariale (et le mystère de l’Incarnation ?), sans parler des
raccourcis historiques hardis concernant les Templiers (le fameux Baphomet n’aurait
été rien d’autre que… le Saint Suaire!!!).
Mais
ce n’est pas là le plus important, ni le plus grave. Parti des données
scripturaires, et notamment des récits d’apparition de Jésus après la
résurrection, Didier van Cauwelaert en arrive à construire un système
métaphysique original et pour le moins surprenant. On peut citer ce passage
caractéristique : « la réalité n’est pas ce que nous pensons a priori.
Elle n’est pas aussi définie, limitée, irréversible que nous voulons le
croire. Et c’est à mes yeux l’enseignement crucial (sic) de Jésus : un
message qui implique le refus de l’enfermement dogmatique, l’amour du
prochain et la conscience de l’interactivité avec ce qui nous entoure,
premier pas vers l’unité pour entrer dans le « royaume de
Dieu » - c’est-à-dire, au sens araméen dénaturé par les traductions :
dans la vie même de Dieu. Si Jésus s’est dématérialisé dans un drap de
lin, laissant la signature d’un homme génétiquement ordinaire, c’est
peut-être pour nous inviter nous aussi à une métamorphose » (pages 172-
173). À l’appui de cette nouvelle doctrine sont invoqués saint Paul, mais
aussi Claude Tresmontant et quelques scientifiques dont l’un, un certain
docteur Ciais, n’hésite pas à affirmer que, dans le tombeau, le corps du
Crucifié a émis un rayonnement laser qui a pu imprimer l’étoffe de lin. À
la sortie du tombeau, Jésus n’est encore qu’un "hologramme" et ne
reprendra sa pleine matérialité que progressivement. Evidemment, rien de tout
cela n’est surnaturel.
Ce
genre de théorie peut être défini d’un mot. Comme l’a remarqué Gérard
Leclerc, le système de Didier van Cauwelaert est tout simplement une
"gnose" au sens large, c’est-à-dire une tentative de faire son
salut par la connaissance. L’amour du prochain n’est plus le premier
commandement, puisqu’il prend place dans un processus d’unité. La
Révélation, la Foi "Dieu sensible au cœur", comme le dit Pascal, l’Eglise
(qui a failli), tout cela doit céder la place au témoignage des « Linges de
la Passion », et aux intuitions des scientifiques.
Cloner
le Christ ? Didier van Cauwelaert répond par l’affirmative, mais pour
préciser aussitôt qu’il s’agit d’un « clonage spirituel ».
Mais
ce clonage n’est-il pas finalement plus inquiétant que l’autre?
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