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Pas
si chrétien que ça, ce Merveilleux
Louis
Kolle
Objections - n°2 - janvier 2006
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Si
l'on vous cite pêle-mêle Narnia, Le Seigneur des anneaux, Cloner
le Christ, Da Vinci Code, vous aurez du mal à trouver une analogie
entre toutes ces œuvres. Pourtant un dénominateur commun s'en dégage : toutes
ont un rapport plus ou moins profond avec le merveilleux chrétien. Avant de
savoir ce qu’il convient d’en penser, en tant qu’œuvres littéraires ou
cinématographiques, il convient de se souvenir du contexte socio-culturel dans
lequel de telles modes se déchaînent. La culture-fric et son obsession de l’immédiateté
fait assez bon ménage finalement avec le Merveilleux.
Bien
entendu, nous sommes très loin de Chateaubriand et de son Génie du
christianisme. Aujourd’hui, n’espérez pas trouver l’exaltation des vertus
des saints ou des anges, ne cherchez pas les mots de mystère chrétien, d’Église,
de beauté de la liturgie, du culte… Si ce n’est dans un sens dévalorisant.
Certes, les auteurs de Narnia et du Seigneur des Anneaux n’ont
jamais caché leur foi, leur œuvre est pétrie de cette vertu, de l’éducation
qu’ils ont reçue et de ses valeurs, qui affleurent à la surface du texte.
Didier Van Cauwelaert nous convainc dans sa démonstration de l’authenticité
du suaire de Turin. Dan Brown réussit le tour de force d’écrire un
livre-canular qui est un syllabus de toutes les absurdités que l’on peut
entendre sur l’Eglise et participe à sa manière à l’édification des
croyants. Sans oublier les deux succès – relatifs – de librairie avec La
Légende Dorée (dans sa nouvelle traduction en 2004) et Les Évangiles
apocryphes (2 tomes en 2000 et 2005), parus chez Gallimard dans la “Pléiade”.
Déplacer
les frontières: le confusionnisme au rendez-vous
Dans
notre monde si terne, frappé par des catastrophes toujours plus importantes et
saisi d’angoisses toujours plus grandes, le merveilleux chrétien a toujours
une place déterminante puisqu’il déplace la frontière entre le réel et le
surnaturel dans le quotidien et qu’il nourrit l’Espérance de l’homme.
Mais
comme on ne peut servir Dieu et Mamon à la fois, la récupération des
thèmes du merveilleux chrétien apparaît souvent comme une opération
mercantile visant à alimenter la demande de consommation de “biens culturels”.
À
travers ce prisme, Le Seigneur des anneaux, Narnia ne sont que les
avatars d’ Harry Potter, au succès international insolent. Le
Seigneur des anneaux, dont on nous vante le succès de librairie, n’a
été traduit en français que très tardivement (1973) par rapport à la
première édition anglaise (1954), et n’a dû son essor mondial qu’aux
mouvements “hippies” qui se l’étaient
approprié et au jeu de rôles, Donjons et Dragons, qui reprend toute la
mythologie mise au point par son auteur. Peter Jackson, réalisateur de la
trilogie, issu de cette culture-là, n’a jamais prétendu faire œuvre de piété.
Le lancement du film Narnia, quant à lui, repose sur une stratégie
commerciale qui rappelle les campagnes napoléoniennes, en mêlant l’artillerie
lourde du jeu vidéo – qui sort en même temps – et les marches d’infanterie
des différentes églises protestantes aux États-Unis. Cloner le Christ,
le livre documentaire de Van Cauwelaert, n’est que l’aboutissement d’une
décennie de livres portant sur le même sujet, de John Case (Genesis)
à
Robin Cook (Crises), en passant par J. R. Lankford (The Jesus Thief)
ou James Beauseigneur (The Christ Clone Trilogy), quatre thrillers où l’argument
du clonage du Christ devient vite répétitif et où l’on finit par se
demander si les uns ne sont pas les clones des autres. Dan Brown puise largement
son inspiration dans L’Énigme sacrée, étude rocambolesque portant
sur les descendants supposés de Jésus, parue vingt ans plus tôt, en ayant l’intelligence
de laisser de côté les hypothèses farfelues mais non dénuées d’humour sur
l’appartenance de Monseigneur Ducaud-Bourget à l’ordre du Prieuré de Sion
et celle sur le nom à l’époque du dernier descendant mérovingien et donc
christique : Alain Poher. Rien de moins !
La
religion des “adulescents”
On
vous objectera qu’il y a une demande, que le public aujourd’hui s’incarne
mieux dans le mythe de l’enfant éternel, que ce besoin lui fait toucher un
semblant d’éternité. Bref, qu’il faut d’une part des produits pour les
“adulescents”, néologisme forgé par les sociologues pour caractériser
cette population jeune qui tarde à quitter le monde de l’enfance pour prendre
ces responsabilités d’adulte ; et d’autre part des produits pour les
adultes qui sentent confusément ce besoin d’immortalité lié au spirituel,
dans une société de plus en plus vide de références religieuses.
Chateaubriand
l’avait déjà pressenti : « On est bien près de tout croire quand on ne
croit rien ; on a des devins quand on n’a plus de prophètes, des sortilèges
quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l’on ouvre les antres des
sorciers quand on ferme les temples du Seigneur. »
Le
merveilleux chrétien est de retour ? Certes, mais précède-t-il les
aspirations d’un public ou est-il déjà en retrait car n’osant pas s’affirmer
franchement? À force d’avancer masqué, on finit par perdre la bonne
direction. Et la leçon donnée par Mel Gibson avec sa Passion devrait inciter
bon nombre d’acteurs du monde intellectuel à orienter différemment leur
production.
Cependant,
ne boudons tout de même pas notre plaisir : comme dans tout tour de magie
réussi, il faut savoir se laisser transporter par la virtuosité du
prestidigitateur.
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