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Benoît
XVI et la Turquie, Abbé Paul
Aulagnier - Objections - n°1 - décembre 2005 |
Le
cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, s’est nettement prononcé,
alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi,
contre l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, en plusieurs
occasions, mais principalement, le 13 août 2004, dans une interview au Figaro
alors que le Pape Jean-Paul II s’apprêtait, à faire son magnifique pèlerinage
à Lourdes, et le 20 septembre de la même année, dans une déclaration au
journal italien, Il Gionale del Populo.
Le
13 août 2004, le cardinal est interviewé par Sophie de Ravinel, pour le Figaro.
Après avoir donné le sens spirituel de ce voyage papal à Lourdes et fait de
belles considérations sur la souffrance, le Cardinal aborde la question de
l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Il ne voit pas cette
union possible. Il pense même que ce serait une « erreur ».
Il invoque essentiellement deux raisons.
L’Europe
est d’abord un « continent culturel » avant d’être « géographique
». Sa culture est le christianisme alors que, même si la Turquie se
dit un Etat laïque, ses fondements sont islamiques. Les réunir serait
une « erreur » en raison de « leurs différences culturelles ».
Il
invoque une deuxième raison. Il ne voit pas possible cette union en
raison de « l’antagonisme historique » des parties. « Il y a eu, dit-il,
les guerres avec l’Empire byzantin, pensez aussi à la chute de
Constantinople, aux guerres balkaniques et à la menace pour Vienne et
l’Autriche… ». Il dira même le 20 septembre, que l’entrée de la
Turquie dans l’Union Européenne serait « anti-historique ».
En
un mot, ce serait aller, conclut le cardinal, à l’encontre de « l’âme
européenne » et des réalités, et commettre une « grande erreur ».
(Il Gionale del Populo).
Pour
justifier cette union des parties, pourrait-on invoquer seulement les raisons économiques
? Cette union seraitelle la seule « conséquence de raisons économiques » ?
« Mais quelle Europe aurions-nous, dit le cardinal, qui serait
construite seulement sur l’économie » ?
Le
pape invoque encore une autre raison. Il dit benoîtement : « Identifier les
deux continents serait une erreur. Il s’agirait d’une perte de
richesse… ».
Je
lui laisse la responsabilité de cette dernière affirmation…
En
conclusion, il affirme : « Je pense donc ceci : identifier les deux
continents serait une erreur. Il s’agirait… de la disparition du
culturel au profit de l’économie. »
Il
envisage toutefois des relations entre les deux parties, non seulement économiques
mais également culturelles.
Le
cardinal se fait même une haute idée du rôle de la Turquie dans le monde
arabe : « La Turquie doit être respectée dans ses valeurs identitaires »,
disait-il le 20 septembre, au journal italien, car elle a « une autre
mission à accomplir ». Cette mission, c’est celle de « pont culturel
», entre l’Europe et le monde arabe. Précisément, « la
Turquie devrait former un continent culturel » avec les pays arabes, même
si « le moment n’est pas propice, à cause des tensions existantes ».
(Il Gionale del Populo).
Une
laïcité islamique
Et
dans ce cas, des relations seraient alors hautement souhaitables, dit le pape dès
lors que les « valeurs » de ce « continent culturel » seraient
en parfaite harmonie avec les « grandes valeurs humanistes que tous nous
devrions reconnaître », qui permettraient de s’opposer « à toutes
formes de fondamentalisme ». « La Turquie, dit-il, qui se
considère comme un Etat laïque, mais sur le fondement de l’islam, pourrait
tenter de mettre en place un continent culturel avec des pays arabes voisins et
devenir ainsi le protagoniste d’une culture possédant sa propre identité,
mais en communion avec les grandes valeurs humanistes que nous tous devrions
reconnaître. Cette idée ne s’oppose pas à des formes d’associations
et de collaborations étroites et amicales avec l’Europe et permettrait l’émergence
d’une force unie s’opposant à toute forme de fondamentalisme ».
Tout
cela serait, de fait, hautement souhaitable. Mais vous remarquerez que le
pape parle au conditionnel. C’est un vœu pieux. Est-il réaliste
? N’est-ce pas méconnaître la réalité de l’Islam ? Je soutiens que le «
fondamentalisme » lui est essentiel. Et le fait que le pape soit obligé
de préciser les valeurs qui devraient être communes, entre l’Islam et le
christianisme me laisse un peu perplexe… sur le réalisme de son idée. Utopie
? Peut-être !
En
français dans le texte
Deux
interventions de Jacques Chirac sur l’intégration de la Turquie à l’Union
Européenne méritent d'être retenues, parce qu'elles sont absolument
contradictoires. Avec tout l'aplomb et toute la conviction qui caractérisent
son éloquence, notre président a affirmé, à propos de l'adhésion de la
Turquie à l'UE : « Je sais que la chose peut se discuter sur le plan géographique,
mais pas sur le plan historique, ni sur le plan de la civilisation, l'une des
plus anciennes du monde, qui a beaucoup apporté à l'humanité. La
Turquie doit prendre toute sa place en Europe ». C'était le 22 novembre 2002.
Le 25 avril 1980, 22 ans auparavant, il avait déclaré, avec le même aplomb et
la même conviction, sur Radio Monte Carlo : « Cette histoire d'élargissement
de l'Europe est tout à fait absurde. La Turquie est maintenant candidate.
Demain ce sera le Zimbabwe »…
JP
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