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Dieu à
l’École
Philippe de
Saint-Antoine
Objections -
n°1 - décembre 2005 |
Être
professeur de Philosophie en Lycée public constitue un excellent poste d’observation
de notre société. Surtout lorsqu’on a enseigné dans une dizaine d’établissements
différents, des banlieues ouvrières aux établissements de centre-ville les
plus huppés. La première constatation surprenante est la relative
homogénéité des classes et des élèves. Des enfants d’ouvriers du
Nord aux bourgeois du Seizième arrondissement de Paris, il y a beaucoup plus d’identité
de comportement et d’opinion qu’on ne pourrait le croire, et les
différences dues aux classes sociales s’avèrent finalement assez
superficielles. On peut voir là le succès de puissantes actions
nivelantes, et se demander lesquelles, de l’École ou des médias, en
particulier de la télévision, sont les plus performantes à ce jeu.
99
% des milliers d’élèves que j’ai pu avoir vous assurent comme une
évidence absolue qu’il n’existe pas de preuves de l’existence de Dieu,
que l’idée même de Dieu relève de l’irrationalité la plus complète, et
que d’ailleurs “la science” prouve clairement que Dieu n’existe
pas. Une telle unanimité apparaît tout de même étonnante, surtout
lorsqu’il s’agit d’erreurs aussi grossières et manifestes. Mais
lorsque le professeur fait valoir qu’un minimum de connaissance historique et
de culture générale oblige à affirmer le contraire, les élèves stupéfaits
le regardent comme un dément. Or il faut bien, lorsqu’on enseigne la
Philosophie, expliquer ce qu’elle est, ou ce qu’elle a été au cours de ses
2500 années d’existence. Expliquer donc que la majorité des grands
penseurs, respectés comme tels et présents au programme de Philosophie du
baccalauréat, ont estimé que la raison humaine pouvait permettre la
connaissance des réalités essentielles, c’est-à-dire le développement d’une
science métaphysique. Que des grands philosophes comme Aristote, Thomas d’Aquin,
Descartes, Spinoza, Leibniz (et bien d’autres…) donnent des preuves purement
logiques et rationnelles de l’existence de Dieu, c’est-àdire, selon son
concept, d’un être premier et éternel, esprit omniscient et tout puissant,
créateur (ou origine) de toute chose.
Que
ces preuves existent, puisqu’elles sont rédigées et consignées dans des
livres, que l’on trouve dans n’importe quelle librairie ou bibliothèque.
Qu’il
est donc tout à fait faux de dire “qu’il n’y a pas de preuves”, mais
que la question est de savoir si ces preuves sont valables, et qu’effectivement,
certains savants ou philosophes, comme Kant, les contestent, et qu’ils sont
désormais majoritaires au XXè siècle, ce qui n’implique pas qu’ils aient
raison.
Que
d’ailleurs démontrer avec Kant la non-validité de ces preuves et la nullité
de la connaissance métaphysique, ce n’est en rien prouver que Dieu n’existe
pas, mais affirmer que ni la raison ni les sciences expérimentales ne peuvent
rien démontrer au sujet de son existence ou de son inexistence, et qu’il est
donc aussi légitime d’y croire que de ne pas
y croire (de plus, Kant s’efforce dans un second temps de montrer que la
morale nous invite raisonnablement à croire en un Dieu de justice…)
Le
plus étonnant est qu’après onze années passées à recevoir des
enseignements en histoire, sciences et lettres, les élèves des écoles
publiques françaises, dans leur totalité, n’ont jamais entendu simplement
parler de telles choses, et n’ont pas la plus vague notion des idées de
penseurs aussi fameux qu’Aristote, Descartes ou Kant ! Et si “les
philosophes” se réduisent à Voltaire, Rousseau et Diderot, pourquoi ne leur
a-t-on jamais mentionné le joli “pas d’horloge sans horloger”de Voltaire,
pourtant anticlérical patenté ?
Quant
à la “culture scientifique”, à quoi se réduit-elle ? Au moins 90 % des
lycéens sont persuadés que Galilée a affirmé le premier, vers 1600, que la
terre est ronde, et qu’avant lui on la croyait plate ! Qui leur a enseigné
une telle ânerie ? Tous les hommes cultivés savent depuis au moins le Vè
siècle avant J. C. que la terre est ronde, et les Grecs de l’Antiquité
avaient d’ailleurs calculé (avec une honorable approximation) les dimensions
et distances respectives de la terre, de la lune et du soleil. Se
pourrait-il que les instituteurs de la République française l’ignorent ? En
revanche, on instille soigneusement dans les jeunes cerveaux que “La Science
prouve l’inexistence de Dieu”. Et le professeur de Philosophie
consciencieux, s’il préfère servir la vérité en prenant le risque de
soulever un tollé de protestations et de déchaîner des haines tenaces, doit
faire remarquer que chaque science expérimentale moderne délimite un objet d’étude
au sein de la réalité, le monde matériel pour la physique, le vivant pour la
biologie, les sociétés pour la sociologie, et qu’elle renonce par principe
à toute visée globale ou métaphysique. De
fait, on ne trouvera dans aucun ouvrage de physique ou de biologie une “preuve
de l’inexistence de Dieu”, car ce n’est nullement leur objet. Les
sciences expérimentales tentent d’expliquer tous les phénomènes de manière
mécanique ou matérielle, donc en faisant abstraction d’une possible origine
ou intervention divine, mais leur postulat de départ n’est en aucun cas une
preuve de l’inexistence de Dieu. Qu’un scientifique fasse passer une
hypothèse de travail ou une conviction métaphysique personnelle et intime,
pour une vérité prouvée par sa science, n’est qu’une manifestation de
mauvaise foi ou d’imbécillité ! Et l’on peut fort bien exercer un travail
de scientifique en essayant d’expliquer tout ce que l’on peut de manière
strictement matérielle, et par ailleurs être personnellement croyant.
Là encore, comment se fait-il que des analyses et des distinctions aussi
élémentaires soient systématiquement recouvertes par une pensée aussi
confuse que partisane ?
De
plus, on a soigneusement imprimé dans le crâne des enfants de la République
des réflexes quasi pavloviens. Dès qu’on prononce certains mots devant
une classe, les hurlements fusent : “Dieu = idée idiote et mauvaise : elle
cause des guerres et des massacres”. “catholicisme = croisades, donc
très méchant ; et aussi support des Rois de France, tous d’affreux tyrans
sanguinaires”. Osez dire : “la morale
chrétienne est la morale de l’amour, le principal commandement selon le
Christ est l’amour du prochain, qui se situe au-dessus du respect de toute loi”,
et vous entendrez des meuglements de protestation monter : “Meuh non, c’est
pas vrai !”. Lavage de cerveau, dites-vous ?
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