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La
leçon d’histoire de Charles de Foucauld
Abbé Marc
Guelfucci
Objections -
n°1 - décembre 2005
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La
béatification du Père Charles de Foucauld a été longtemps reportée.
Finalement, prévue pour le 15 mai, elle a dû être à nouveau repoussée, en
raison de la mort de Jean Paul II. Elle a été enfin célébrée par le
pape Benoît XVI le 13 novembre dernier… Sa fête se célébrera désormais
tous les ans le 3 décembre.
Le
vicomte Charles de Foucauld de Ponbriand est né à Strasbourg le 15 septembre
1858. A l’âge de six ans, lui et sa sœur voient partir leur mère puis
leur père la même année. Les deux orphelins sont élevés par leur
grand-père, Charles-Gabriel de Morlet, colonel en retraite. Malgré
un comportement indiscipliné, Charles finit par intégrer Saint Cyr puis Saumur
d’où il sortira officier de Cavalerie en 1879. Entre temps, le riche
héritage de son grand-père favorise ses dérèglements. En 1880, lors du
départ de son régiment en Algérie, il emmène avec lui Mimi, une fille
légère. Malgré le scandale, il refuse de la renvoyer, se retrouve mis en
non-activité par retrait d'emploi et revient vivre en France.
Mais
l’année 1881 va marquer le début d’une nouvelle vie. Il apprend que
son régiment est engagé dans une action dangereuse en Tunisie. Conscient
de sa légèreté, il demande sa réintégration et part seul. Dans le
sud-oranais, attentif à son devoir, il est un officier apprécié de tous. Mais
ce revirement va s’avérer plus profond encore. Il se passionne pour
cette région et ses habitants. L’Algérie avait été conquise en
1830. En 1838, le premier évêque d’Alger,Mgr Dupuch, dut affronter un
gouvernement français qui s’opposa à toute évangélisation des
indigènes. Il était interdit au clergé d’amener un musulman à se
convertir, avec défense de faire imprimer un catéchisme en langue arabe. De
Louis-Philippe à la Troisième République, en passant par la Seconde
République et l’Empire, ce fut la même politique de prohibition. C’est
le futur cardinal Lavigerie qui obtiendra de Napoléon III le droit d’évangéliser
les musulmans. A son arrivée à Alger, le 15 mai 1867, il déclare : «
ma mission est de faire de la terre algérienne le berceau d'une nation grande,
généreuse, chrétienne, d'une autre France en un mot : de répandre autour de
nous les vraies lumières d'une civilisation dont l'Évangile est la source et
la Loi ; de les porter au-delà du désert, jusqu'au centre de cet immense
continent, encore plongé dans la barbarie. » L'ordre des Pères Blancs
créé en 1867 devait rattraper le temps perdu auprès des maghrébins.
Au
contact de ces âmes craignant Dieu, l’officier français qui disait avoir
perdu la foi à 16 ans va se trouver déstabilisé. De cette période de
sa vie, il écrira en juillet 1901 : « L'Islam a produit en moi un profond
bouleversement. » En 1882, il quitte
l’armée et s’installe à Alger où il apprend l’arabe et l’hébreu.
Il explore le Maroc, puis parcourt les oasis du Sud Algérien et Tunisien avant
de retourner en France en 1886. Sa vie devenue austère étonne ses
proches. Il entre dans les églises et répète cette sobre prière :
«Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse. »
Sa
cousine Marie de Bondy l’accompagne dans son itinéraire spirituel et l’envoie
à l’Abbé Huvelin. Fin octobre 1886, il le rencontre dans l'église
Saint-Augustin à Paris. Le prêtre lui
demande de se confesser et de communier immédiatement. Charles de
Foucauld se laisse saisir par la grâce. C’est alors le début de la
carrière d’un géant appelé à vivre « la vie cachée de l'humble et pauvre
ouvrier de Nazareth ». Entré en 1890 chez les Trappistes, de la Trappe
française puis syrienne à la cabane de jardinier des Clarisses de Nazareth,
Frère Charles est ordonné prêtre le 9 juin 1901 à l'âge de 43 ans à
Viviers. Il va alors désirer « continuer au Sahara la vie cachée de
Jésus à Nazareth » (Lettre de 1900) «
parmi les âmes les plus malades, les brebis les plus délaissées. » (Lettre
de 1905). Il s’établit à Béni-Abbès puis à Tamanrasset où il
construit un ermitage sur l’un des sommets du Hoggar.
Pour
la première fois, un prêtre visite les Touaregs. Il apprend leur langue,
en compose un lexique et une grammaire, pour traduire l’Évangile et écrire
un catéchisme. Devant la force de l’Islam, il oppose la vie en Dieu. À
partir de 1909, il fait trois voyages en France pour présenter son projet d'une
« Union des frères et sœurs du Sacré-Cœur », « fervents chrétiens de
toutes conditions capables de faire connaître par leur exemple ce qu'est la
religion chrétienne », et de faire « voir l'Évangile dans leur vie ».
«Mon apostolat doit être l'apostolat de la bonté. En me voyant on doit
dire : Puisque cet homme est si bon… sa
religion doit être bonne ». Mais loin de l’Europe en feu, en 1915, une
guérilla éclate dans le désert. Il meurt le 1er décembre 1916,
assassiné par un groupe de pillards touaregs. « Pardonnez-leur, parce qu’ils
ne savent pas ce qu’ils font… »
Contre
le refus suicidaire d’évangéliser les musulmans, il écrivait en avril 1912
à sa sœur : « Le Bon Dieu a donné à la France, au nord-ouest de l'Afrique,
un magnifique empire colonial : le tiers ou le quart de l'Afrique formant un
seul bloc faisant face à la France, séparé d'elle par quelques heures de
mer. (…) Si on ne comprend pas le
devoir d'aimer le prochain comme soi-même, (…) ce tiers d'Afrique, (…) qui
aura une élite instruite comme nous, par nous-mêmes, profitera de l'union, de
la force, des moyens d'action que nous-mêmes lui aurons donnés, pour nous
échapper et pour devenir non seulement indépendant de nous mais un redoutable
ennemi ». Nous ne manquerons pas de le prier pour la France afin de rattraper
le temps perdu depuis 1830 à Alger comme à Clichy. Car, finalement, au nom d’idéologies
libertaires et suicidaires, l’administration française ne leur a jamais
donné qu’une éducation amorale plus encore que laïque.
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