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Vent
de folie sur l’Oratorio baroque
Philippe
de Saint Antoine
Objections - n°1 - décembre 2005
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Le
dernier disque de la diva Cecilia Bartoli – sans doute la voix la plus
fabuleuse de notre époque ! – est intitulé (en italien) « Opera Proibita »,
car il réunit des airs extraits d’Oratorios composés par Alessandro
Scarlatti, Haendel et Caldara à Rome entre 1700 et 1710, alors que les papes
successifs avaient interdit les représentations publiques d’opéras.
Cela pour diverses raisons, rappelées dans l’excellente notice de cet album
(Decca 475 6924), parmi lesquelles la volonté de lutter contre un certain
climat de dépravation morale se répandant dans la Ville Sainte. Les
compositeurs et les mélomanes se précipitèrent alors sur la musique
religieuse, et tout particulièrement sur les histoires bibliques et allégoriques,
qui furent en compensation parées de tous les prestiges de l’opéra, ce
qu’illustre à foison ce programme. Nous ne cessons de passer au fil des
pages par les sentiments les plus extrêmes : fureur éructante aux vocalises
infernales, ivresse de virtuosité brillante, délicatesse infinie, envoûtement
sensuel.
Cecilia
Bartoli bénéficie pour cette démonstration magistrale de la complicité de
Marc Minkowski, à la tête de ses Musiciens du Louvre, grand dynamiteur du
baroque, bien connu pour sa manière de révéler l’expressivité brûlante de
Haendel ou de Rameau. En outre, ils font œuvre de défricheurs, puisque,
hormis quelques airs célèbres de Haendel, ceux de Scarlatti et Caldara sont de
véritables redécouvertes.
Évidemment
un tel feu d’artifice vocal et émotionnel pourra choquer ceux qui tiennent à
une conception prude et compassée de la musique religieuse. Les
compositeurs sont-ils trahis ou restitués dans leur vérité ? Les soupirs
sensuels de l’Air de Sainte Eugénie de Caldara, pourtant censée résister à
la tentation, ont-ils la beauté éthérée de la sainteté, ou la séduction du
Diable ? Que d’ambiguïtés en cette musique, comme en cette époque ! Mais
qu’importe : comment rester indifférent au charme de mélodies aussi émouvantes,
servies par une voix aussi sublime…
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