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Le
réveil chinois ? Un cauchemar
Joël Prieur
Objections - n°1 - décembre 2005
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Alain
Peyrefitte nous avait dit que le monde tremblerait. Philippe Cohen et Luc
Richard nous décrivent, dans un livre incisif, l'effrayant réveil des
Chinois. Effrayant ? Oui, c'est le mot. Effrayant
pour nous, qui ne nous y sommes pas préparés. Et puis effrayant pour
eux, parce que le régime libéral communiste, avec son nationalisme économique
ne fait pas dans le détail. Quel décalage entre la rhétorique
officielle et la réalité sociale chinoise. Alors que, progressivement,
depuis Deng Xiaoping, le mot d'ordre est de « s'enrichir » pour « bâtir la
civilisation du communisme de marché » (sic), on découvre que des dizaines et
sans doute des centaines de millions de Chinois sont tout simplement laissés
pour compte : ce sont les xiagang, ces ouvriers des usines d'État qui ont
fermé les unes après les autres, sans le moindre plan social ; et ce sont les
mingong, ces paysans en exode permanent, qui ne se sont établis vraiment nulle
part et qui représentent une masse énorme de main-d’œuvre clandestine, sous
payée. Est-ce là le modèle chinois ? Prenons le textile (ce chapitre
sur la « Chine qui nous déshabillera » est particulièrement clair). Le
salaire moyen d'un ouvrier dans le textile chinois est de 90 euros. Et,
comme le notait récemment un ministre chinois, il faut vendre 800 millions de
chemises chinoises pour acheter un Airbus A 380. La Chine réussit
partout, elle est en passe de devenir l'atelier du monde. Demain,
elle fabriquera sans doute tous les jeans de la Planète. Mais à quel
prix ? « La mondialisation ne déshabille pas John, Dieter ou Jacques, ouvriers
embourgeoisés de l'Occident, au profit de Liu et de Zhang, elle les ficelle
tous dans un même sac d'horreur économique »…
Comment
une telle horreur est-elle possible ? N'en
déplaise à Viviane Forester, cette horreur n'est pas seulement
économique. Elle est politique. Si
les salaires demeurent si bas en Chine, si la misère est si terrible, si le
couvercle reste si bien vissé sur la marmite, c'est que l'État communiste
demeure avec sa terrible efficacité, son obsession de la domination mondiale et
son absence totale de scrupule : « Tel est le cauchemar chinois : l'alliance
efficace entre le communisme totalitaire et le capitalisme mondialisé. »
Les
grands leaders des économies occidentales s'imaginaient que ce qu'ils auront
donné d'une main, à travers les délocalisations, ils le reprendront de
l'autre, en offrant à la Chine les équipements dont elle a dramatiquement
besoin. Les auteurs fustigent cette grande illusion de l'Occident.
En réalité, les partenaires des sociétés occidentales traînent les
pieds. L'État chinois multiplie les obstacles. Les banques
n'offrent aucune visibilité. Une étude portant sur 229 investisseurs
occidentaux en Chine montre que 38 % seulement d'entre eux ont réussi à
équilibrer leurs comptes. Pas facile de sortir la tête haute du Marais
de l'Empire du Milieu. Pour tous ceux qui en ont fait l'expérience, il
n'a vraiment rien d'un Eldorado ! C'est l'économiste Patrick Artus
en définitive, qui a osé la véritable question : « La Chine va-t-elle nous
détruire tous ? »
Philippe
Cohen a conservé la clarté d'écriture qui a fait le succès de son ouvrage
précédent : La face cachée du Monde, ce livre qui aujourd'hui encore empêche
de dormir les dirigeants du « quotidien de référence ». Quant à Luc
Richard, ancien directeur de la revue Immédiatement, il parle couramment le
chinois : c'est sans doute grâce à lui que ce livre est aussi une enquête
menée sur le terrain. Les témoignages recueillis sur place valent mieux
que de longs raisonnements abstraits ! Ce livre est une véritable plongée au cœur
du cauchemar chinois. Les auteurs ne le cachent pas ; pour eux ce
cauchemar pourrait bien devenir le nôtre, dans une espèce d'encrassement
monstrueux de la machine économique mondiale…
Philippe
Cohen et Luc Richard, La Chine sera-t-elle notre cauchemar ?
éd. Mille et une nuits,
oct. 2005, 238 p. , 15 €
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