| |
La
valse à trois temps de la laïcité
Jean Sévillia -
Propos recueillis par Pierre Voisin
Objections
- n°1 - décembre 2005 |
La
laïcité en France est une vieille dame. Elle a aujourd’hui largement plus d’un
siècle… Nous célébrons ici à notre manière l’anniversaire de la loi de
séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée le 9 décembre 1905.
Occasion pour nous d’esquisser un bilan. Journaliste, auteur de
plusieurs ouvrages, dont « Quand les catholiques étaient hors la loi »,
publié chez Perrin en février 2005, Jean Sévillia a bien voulu répondre aux
questions d’Objections.
Jean
Sévillia : L’histoire de la laïcité en France
peut être divisée en trois grandes phases. De la fin du XIXème siècle
jusqu’à la loi de séparation de 1905 s’est développée une laïcité de
conflit, qui visait à réduire la puissance de l’Eglise catholique, alors en
situation dominante dans la société française en raison de son poids
historique, du nombre de baptisés et des relations très anciennes entre l’Eglise
et l’Etat.
Après
la première guerre mondiale s’est instaurée une laïcité de compromis, qui
a persisté jusqu’aux années 1980. Ce compromis entre l’Eglise et la
République repose sur la puissance que conserve l’Eglise au sein de la
société française, où la culture chrétienne reste prédominante. S’y
ajoutent certaines évolutions : le catholicisme a changé, la République
aussi, des chrétiens se rallient à cette dernière par le biais de la
démocratie chrétienne, de la Résistance… Des catholiques pratiquants sont
nommés ministres, ce qui était inconcevable avant 1914.
Le
troisième temps de la laïcité résulte de plusieurs chocs : culturel au sein
du catholicisme, produit par une certaine interprétation du concile Vatican II
tendant à laïciser la religion. Choc sociologique, découlant de la
déchristianisation de la société française – qui n’est pas liée au
concile Vatican II, puisque ce phénomène de sécularisation s’observe dans
toutes les sociétés européennes, protestantes comprises. Enfin, choc
provoqué par l’introduction de l’islam en France et plus généralement sur
le sol européen, par le jeu de l’immigration. C’est à ce moment-là que
resurgit l’idée laïque, brandie comme une solution d’actualité pour parer
aux enjeux et aux défis posés par cette introduction de l’Islam en
Europe. Il s’agit d’un laïcisme à géométrie variable, qui refuse
de faire des différences entre les religions et se montre parfois plus
violemment hostile au christianisme qu’à l’islam, en raison d’un fond
anti-catholique toujours présent au sein de notre classe politique et
médiatique. Des offensives ultra-laïcistes se développent de
nouveau. Elles ne se manifestent pas partout : les institutions liées à
l’Eglise continuent à bénéficier de financements publics, en particulier à
travers l’entretien des bâtiments cultuels construits avant 1905, et l’enseignement
catholique. Certaines voix, notamment dans le milieu traditionaliste,
prétendent que nous en sommes revenus au petit père Combes ; non ! Sachons
raison garder. En revanche, les menaces se multiplient. Plus les
chrétiens sont minoritaires, plus leur situation est fragile.
La
laïcité peut-elle constituer un véritable rempart contre l’islamisme ?
L’islamisme
est l’expression radicale d’une religion constituée, avec sa vision de l’homme
et de la société. C’est un ensemble plein. La laïcité, au
contraire, est un ensemble creux. On ne lutte pas contre du plein avec du
creux… Une libérale comme Chantal Delsol dit elle-même que seule une
religion peut s’opposer à une autre religion. La laïcité, dans la
mesure où elle ne propose aucune vision de l’homme, en tant qu’être à la
fois temporel et spirituel, n’a pas les moyens conceptuels d’apporter une
réponse à l’islamisme. Fondamentalement, je crois même qu’elle nous
désarme, dans la mesure où l’islam pose des défis fondamentaux, auxquels
elle est incapable de répondre. À la faveur de ce vide, l’islamisme
progresse dans les milieux issus de l’immigration musulmane.
Que
pensez-vous des propositions de Nicolas Sarkozy visant à assouplir la loi de
1905 pour faciliter l’implantation de l’islam au sein de la société
française ? La loi de séparation avait débouché sur un compromis.
Est-elle satisfaisante et faut-il la préserver ?
Ce
compromis n’était pas satisfaisant, puisque ce n’était pas un compromis !
Mais il établissait un statu quo à la faveur duquel le catholicisme a, grosso
modo, vécu en paix, même si le feu couvait sous la cendre. La vision de
Sarkozy contient un aspect positif, lorsqu’il affirme que la religion est
indispensable à l’homme. Mais dès lors qu’il se situe dans une
perspective purement laïque, il place toutes les religions sur le même
plan. De son point de vue, l’islam a autant de valeur que le
christianisme et quand il parle de toiletter la loi de 1905, c’est pour lui
permettre de rattraper son retard par rapport aux autres religions installées
sur notre sol. C’est un pari très risqué. Il suffit d’avoir recours
à l’histoire pour vérifier que la société française a été façonnée,
dans son identité profonde, par le christianisme : la vision de l’homme dont
a hérité le modèle français, même républicain, a émergé sur ce
terreau. Même les anti-cléricaux du XIXème siècle évoluaient
mentalement dans des cadres façonnés par le christianisme. Avec l’islam,
nous nous trouvons confrontés à une autre religion et même à une autre
anthropologie. Institutionnaliser sa présence dans la société française
revient à y introduire un hiatus anthropologique. Nous allons alors
au-devant de tous les dangers.
Les
chrétiens conservent-ils une place dans la société actuelle, encore plus
agnostique que laïque ?
Les
chrétiens doivent continuer à faire ce qu’ils font depuis 2000 ans :
annoncer l’Évangile pour amener les hommes à se convertir. Ce rôle
dépasse la confrontation avec l’islam et intéresse toute la société
occidentale, techniciste et mercantile. Les développements de la science
et de la technique aboutissent, par intérêt financier ou scientifique, à des
bricolages – par le biais par exemple des biotechnologies – qui posent une
question d’ordre métaphysique : qu’est-ce que l’homme ? A cette question,
la laïcité n’a rien à répondre. Les Évangiles, au contraire,
apportent une réponse qui est toujours moderne, parce qu’éternelle.
|